Les analyses se multiplient et les controverses foisonnent à propos du succès du Front National dimanche dernier et des conséquences qu’il entrainera inévitablement sur le paysage politique français. En dépit de son score très élevé – près de 18 %- certains spécialistes relativisent. Des démographes, des historiens ou des sociologues estiment qu’il ne faut pas exagérer les changements constatés dans le corps électoral français. Les jeunes, les retraités, les ouvriers ont-ils massivement apporté leur voix à Marine Le Pen ? Pour l’instant, les enquêtes sont contradictoires. Mais il est certain, par contre, que le FN a percé dans les milieux ruraux et la grande périphérie des villes alors que les milieux urbains ont résisté à cette progression. Dans « Le Monde », le démographe Hervé Le Bras note d’ailleurs que si le Front National se renforce en France, il s’affaiblit dans les villes. Il ajoute que « plus encore que les distinctions socio-économiques ou socioculturelles classiques, c’est la localisation de l’habitat qui apparaît comme l’élément le plus prédictif de l’orientation politique ». En quelque sorte, l’habitat comme cristallisation des peurs et des (dés)espoirs.
Débat intéressant mais qui n’efface pas la leçon politique essentielle du scrutin : Marine Le Pen est bien l’arbitre du second tour. Plus fondamental encore, le FN est en position d’atteindre son objectif majeur d’être au centre d’une recomposition de la droite. Car quelque soit l’appréciation de son score, le fait est là : lors des prochaines législatives qui suivront la présidentielle, Marine Le Pen pourrait être en mesure de se maintenir au second tour dans plus 350 circonscriptions sur 577, de l’emporter dans un nombre important, et en tous cas, de faire mordre la poussière et faire voler en éclats l’UMP et ses alliés. Voilà le spectre qui hante la France. Il est légitime qu’aujourd’hui les deux candidats s’adressent aux électeurs de Marine le Pen, à cette « France qui souffre », comme ils disent. François Hollande le fait sans concession et dans l’affirmation de ses propres valeurs. Nicolas Sarkozy, lui, a adopté les thèmes et le vocabulaire de Marine Le Pen qu’il juge désormais « compatible avec la République ».
Sur l’immigration, la sécurité, sur le « vrai travail » aux accents pétainistes, il n’y a désormais plus de frontières entre le président sortant et la candidate d’extrême droite. Nicolas Sarkozy joue avec le feu. Non seulement il a peu de chances de récupérer une part suffisante de l’électorat du Font National mais il ne fait que renforcer ce dernier. Pire qu’une erreur, pire même qu’une faute…Guy Verfofstadt, notre ancien premier ministre libéral, posait déjà la question en mars dernier devant le parlement européen : « Qui est aujourd’hui, le candidat de l’extrême droite Marine Le Pen ou Nicolas Sarkozy ? ». On peut maintenant lui répondre sans se tromper : les deux, mon général !