«Je vous appelle à vous rassembler le 6 mai, sans rien demander en échange, pour battre Sarkozy ! Je vous demande de vous mobiliser comme s’il s’agissait de me faire gagner moi-même l’élection présidentielle. Je vous demande de ne pas traîner les pieds ! » : Jean-Luc Mélenchon ne pouvait pas être plus net qu’il ne l’a été hier soir. Et il ne fait aucun doute que l’immense majorité de ses électeurs voteront François Hollande au deuxième tour. Mais, par contre, Jean-Luc Mélenchon ne détient pas pour autant « les clefs » de l’élection, comme il l’affirmait hier soir. Certes, un score à deux chiffres était, il y a six mois encore, un objectif majeur et incertain pour le Front de Gauche. Mais la dynamique de sa campagne et les promesses des sondages avaient fait rêver. La bataille perdue pour la troisième place est lourde de conséquences même si bien évidemment le Front de Gauche n’en est pas responsable, lui qui s’est battu avec acharnement et sans fioritures contre le Front National.
Mais le fait est là, à la fois dramatique et significatif de l’état de la France après cinq ans de sarkozysme : c’est bien Marine Le Pen qui se place au centre de l’échiquier politique et dont les électeurs décideront de l’issue du deuxième tour. Avec la belle victoire de François Hollande et le rejet massif du président sortant, voilà l’élément essentiel du premier tour. Marine Le Pen qui parle désormais de la « nouvelle droite » a pleinement gagné son pari. Dans un premier temps, elle s’est écartée du discours ultralibéral de son père. Elle a enrobé son discours xénophobe de « valeurs républicaines », parlant notamment au nom de la laïcité. Elle a, en quelque sorte, « démocratisé la xénophobie », comme le dit le sociologue Sylvain Crepon.
Marine le Pen a réussi la « dédiabolisation » de son parti avant de revenir, en fin de campagne, à ses fondamentaux, l’insécurité et l’immigration. Il faut dire qu’elle a eu en Nicolas Sarkozy le meilleur des agents électoraux. Avec sa campagne à droite toute, sous la houlette de son conseiller maurassien Patrick Buisson, le président sortant pensait, comme en 2007, siphonner les voix du Front National. Retour à l’envoyeur ! Cette fois, c’est l’extrême droite qui a asséché les terres sarkoziennes. Et c’est bien Marine Le Pen qui détient les clefs du second tour. Elle appellera sans doute à l’abstention. Il faudrait que de 75 à 80 % de ses électeurs se reportent sur le président sortant pour que celui-ci ait une chance d’être réélu. Mission impossible d’autant qu’il devra faire le grand écart pour tenter d’additionner des voix frontistes et centristes. Mais là ne s’arrêtera pas le bouleversement du paysage politique français. Avec près de 20% des suffrages, Marine Le Pen peut, pour la première fois (dans le système majoritaire à deux tours), envisager de tailler des croupières à la droite parlementaire lors des législatives. Avec ce que cela peut signifier en termes de recomposition de la droite française, le véritable objectif de Marine Le Pen. Les conséquences de son succès du 22 avril 2012 sont encore incalculables.
Hier soir, sur les plateaux de télévision, les représentants de l’UMP et PS se rejoignaient dans la compassion pour cette « France qui souffre », entendez les électeurs du Front National. Ils seront bien au centre de toutes les préoccupations.
Nicolas Sarkozy jouera son va-tout en s’installant encore un peu plus sur les terres lepénistes. Mais il aura bien du mal à séduire cet électorat qui regarde avec mépris ce « président-antisystème » qui a perdu, à ses yeux, toute crédibilité. De plus, ce faisant, Sarkozy laissera à son adversaire la stature du rassembleur. Dès hier soir, le candidat de la gauche en avait déjà revêtu les habits. Ils semblaient faits sur mesure. François Hollande était rassembleur et déjà présidentiel.