Italie : le révisionnisme au pouvoir

Pour la première fois dans l’histoire de la République, le 25 avril, fête de la Libération qui célèbre l’antifascisme et les valeurs de la résistance se déroulera sous la houlette d’un gouvernement dominé par l’extrême droite. Les débats qui entourent cette célébration illustrent encore une fois les ambiguïtés et/ou le révisionnisme des Fratelli d’Italia, le parti issu du néofascisme. La Première ministre, Giorgia Meloni participera avec le président de la République, Sergio Mattarella à la manifestation officielle devant l’Autel de la patrie à Rome. Mais au-delà de cette obligation institutionnelle, contrairement à leurs prédécesseurs de diverses obédiences, les dirigeants et ministres des Fratelli d’Italia déserteront les autres manifestations qui se déroulent un peu partout dans le pays.

Une fois encore, c’est le président du Sénat, Ignazio La Russa qui a sonné la charge. On sait que le 2e personnage de l’état, collectionneur passionné des bustes de Mussolini, aime à se revendiquer de ses origines idéologiques. Et, qu’à la moindre occasion, il s’en prend à la résistance antifasciste. Cette fois La Russa s’est distingué en affirmant « qu’il n’y avait aucune référence antifasciste dans la constitution italienne ». Ce qui est une contre-vérité : un article de la constitution décrète expressément « l’interdiction, sous quelle forme que ce soit du parti fasciste ». Les pères de la Constitution de 1946, du parti communiste aux libéraux, ont écrit le texte fondateur sous le signe répété de l’antifascisme. On peut parler ici de paradigme constitutionnel. Le parti d’extrême-droite persiste le plus souvent dans sa volonté de présenter le fascisme comme une période à inscrire dans la continuité historique italienne. Et quand ils sont obligés de se prononcer sur cette période, ils s’évertuent à condamner ensemble fascisme et communisme sans en prendre en compte la spécificité de leur propre engagement. Comme pour confirmer cette attitude désormais classique, le président du Sénat célébrera le 25 avril… à Prague où il rendra hommage à l’étudiant Jan Palach qui s’était immolé par le feu en 1969 pour protester contre l’invasion soviétique.

Cette « entourloupe » idéologique se retrouve encore dans la motion que la majorité a adoptée à la Chambre où le 25 avril est transformé en « fête de la réconciliation » et où est inscrit dans mémoire nationale aussi bien la Journée des forces armées que l’anniversaire de la chute du mur de Berlin. Tout est toujours fait pour gommer la spécificité de l’antifascisme. Bien entendu ces prises de position entrainent de vives polémiques et même au sein de la majorité certains se démarquent. La Lega volontairement antifasciste au temps de son fondateur Umberto Bossi a pris ses distances l’égard de La Russa, de même d’ailleurs que Forza Italia qui a pourtant été le premier parti à intégrer les néo-fascistes dans le jeu institutionnel.

Ce nouvel épisode de révisionnisme historique s’inscrit dans un contexte politique où les Fratelli d’Italia, en particulier, veulent affirmer leur prédominance idéologique. Il y a quelques jours, Francesco Lollobrigida, ministre de l’Agriculture et beau-frère de Giorgia Melon dont il est un conseiller écouté mêlait crise de la natalité et augmentation de la population immigrée en Italie pour dénoncer le danger du « remplacement ethnique ». Le ministre s’est défendu de tout racisme et a affirmé tout ignorer de la théorie du « grand remplacement » chère aux conspirationnistes d’extrême-droite. Mais le propos s’inscrit bien dans une ligne politique encore confirmée par l’adoption récente d’une loi qui limite drastiquement les droits à la protection spéciale dont bénéficient normalement les demandeurs d’asile qui ne disposent pas du statut de réfugié.

La gauche toujours en convalescence, les forces syndicales et les mouvements antifascistes mobilisent pour les manifestations du 25 avril. On observera leur capacité de mobilisation, mais de toute manière d’autres réponses devront être inventées pour faire face à cette offensive idéologique.

 

 

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5 réponses à Italie : le révisionnisme au pouvoir

  1. Houdova Eva dit :

    Bonjour, je vis en ce moment à Prague et je regrette que ce personnage douteux et manipulateur Ignazio La Russa vient à Prague salir la mémoire de Jan Palach! Mais qui l’a invité??? Bravo pour l’article, Eva H

  2. Ouardia Derriche dit :

    Si le révisionnisme ne s’installait qu’en Italie, on pourrait imaginer de le combattre en l’isolant. Hélas, il s’étale complaisamment dans toutes les initiatives à portée idéologique de l’UE, jusque dans sa prétentieuse Maison de l’Histoire européenne, où l’on réécrit l’Histoire de manière proprement scandaleuse. La riposte est urgente autant que vitale et elle ne peut venir que du mouvement ouvrier organisé, qui a tout à perdre dans la mésaventure. Et nous avec lui!

    1. Angelini pascale dit :

      Merci Hugues pour cet éclairage toujours pertinent sur la situation en Italie, qui me désole tellement 😥

    2. Paul Fonteyn dit :

      Pourriez-vous élaborer quant à la Maison de l’Histoire Européenne ; ou bien me signaler une source d’information…merci bien.

  3. Nadine Gouzée dit :

    🤝Merci à Hugues de l’information montrant comment l’Histoire actuelle de l’Italie touche au niveau symbolique à celle de la défunte Tchécoslovaquie que notre ami Jan et d’autres jeunes désespérés avaient tenté de réveiller. Bien d’accord depuis toujours avec l’urgence de corriger, et compléter au niveau du continent, le narratif de la Maison de l’Histoire européenne et pas seulement dans ce prétentieux musée, chères Eva et Ouardia. Car si la mémoire de Jan Palach et de tous les autres défenseurs des libertés démocratiques et des droits des travailleurs dans les « pays de l’Est » européens des années 50, 60, 70, 80,… avait été et était vraiment entretenue et défendue par une beaucoup plus grande partie de la gauche occidentale, les territoires de cette mémoire n’auraient peut-être pas l’air aussi facile à envahir aujourd’hui. Est-il trop tard ?

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