Italie : le désert des urnes

Pêcheur à la ligne
Lazlo Mednyanszky (1890)

5-0 : un score de forfait ! Après les trois grandes villes remportées au premier tour (Milan, Bologne, Naples), le centre-gauche ajoute dans son escarcelle les deux autres cités majeures en jeu  (Rome et Turin) auxquelles il faut encore additionner les victoires inattendues à Varese (capitale de la Lega), Latina (place forte de la droite et de l’extrême-droite) et Cosenza. A droite, seule Trieste a réélu son maire berlusconien, mais non sans difficultés. Enrico Letta avait donc quelques raisons d’exulter lui qui a repris, il y a 7 mois à peine, un Parti Démocrate dévasté par les divisions internes. « Une victoire triomphale », s’est exclamé Letta tout en ajoutant aussitôt « … sans triomphalisme ». L’affirmation paradoxale du dirigeant démocrate illustre bien les ambigüités de cette victoire qu’il faut nuancer, comme il fallait déjà redimensionner son succès du premier tour (5 et 6 octobre dernier)[1]. Cette fois encore en termes d’élus, la victoire est incontestable. À Rome comme à Turin, les candidats de centre gauche gagnent avec 60 % des suffrages. En termes d’électeurs, c’est autre chose. L’abstention s’est encore creusée par rapport au premier tour. À Rome, un électeur sur quatre s’est déplacé. Et l’abstention est de l’ordre de 60 % dans les autres villes concernées par le scrutin. Et, comme au 1er tour également, c’est l’électorat populaire des quartiers périphériques qui a boudé les urnes. Un électorat qui lors des derniers scrutins votait majoritairement pour la droite et l’extrême-droite de la Lega ou des Fratelli d’Italia (FdI). Erreur sur les candidats qui ont multiplié les faux pas ou les ignominies[2], désunion de la droite, contestation interne à la Lega partagée entre sa participation gouvernementale et sa vocation oppositionnelle, infiltrations et complaisances néo-nazies au sein des Fratelli : la défaite de Salvini et Meloni ne manque pas de raisons. Il faudra évidemment affiner l’étude des résultats, mais il apparait sans nul doute que les abstentionnistes proviennent essentiellement de leurs rangs.

La victoire du centre-gauche s’apparente donc surtout à une défaite de la droite même si, comme il convient, ses dirigeants tentent de la minimiser. Enrico Letta peut se réjouir d’avoir replacé le PD dans son rôle de fédérateur du centre-gauche (en fait du social-libéralisme au centre gauche classique et, selon les cas, à quelques formations mineures d’une gauche plus critique sans oublier une partie des Cinque Stelle). Le report de voix des M5S a fonctionné dans plusieurs scrutins, mais les troupes dirigées aujourd’hui par l’ancien premier ministre Giuseppe Conte ont fondu et ne dirigent plus aucune grande ville. Pour l’avenir, l’alliance PD/5S, axe de la politique de Letta, demande encore confirmation dans le principe comme dans les chiffres.

Enrico Letta affirmait au lendemain du scrutin que si le PD avait intérêt à aller à des élections législatives, il choisissait plutôt de soutenir jusqu’au bout le gouvernement Draghi dont il se veut l’épicentre. Mais surtout il serait très imprudent d’extrapoler les résultats de ces municipales. Lega et FdI sont défaits, certes, mais d’abord au profit de l’abstention avec des vainqueurs « minoritaires ». Rien ne dit que la droite et l’extrême droite ne demeurent pas hégémoniques dans les urnes vides…

[1] Voir https://leblognotesdehugueslepaige.be/italie-elections-illusion-doptique/

[2] A Rome, Enrico Michetti, le candidat de la droite désigné par les Fratelli d’Italia s’est vu rappeler diverses déclarations récentes où l’antisémitisme et le racisme se mêlaient à des éloges aux armées hitlériennes.

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3 réponses à Italie : le désert des urnes

  1. ALESSANDRO GIACONE dit :

    Les absents ont toujours tort.

  2. Myriam Gérard dit :

    Merci Hugues pour ce billet bien tapé et sans concession.

    Myriam Gérard

  3. mario caciagli dit :

    Analisi perfetta, caro Hugues. E quindi previsione corretta: il centro-destra potrà recuperare nelle elezioni politiche.

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