La Constitution est la pierre angulaire de la démocratie italienne depuis son adoption en 1948. C’est bien pour cette raison qu’elle est l’enjeu central de la bataille politique qui oppose Giorgia Meloni à l’opposition du centre gauche et la gauche. La cheffe des Fratelli d’Italia a toujours refusé de reconnaître le caractère anti fasciste de la Constitution. Ce n’est pas seulement symbolique, mais le signe d’un refus qui caractérise l’ensemble de sa politique. Et, d’une certaine manière, Giorgia Meloni indique ainsi la vraie nature de son projet politique et idéologique.
La Constitution italienne est l’héritière directe de la résistance contre le nazisme et le fascisme. Au sein de cette résistance, les communistes italiens occupent la première place qui leur confèrera à la Libération un poids politique considérable[1] et un rôle primordial dans la rédaction de la nouvelle Constitution adoptée en 1948. On peut dire que l’obsession du parti de Togliatti est de faire obstacle à toute tentative de renaissance du fascisme (qui imprègne et encore pour longtemps une partie de la société transalpine). Le texte fondamental inscrit pour cela un grand nombre de dispositions qui veulent protéger les Italiens de tout pouvoir personnel : consécration des droits individuels et collectifs, défense de la liberté de la presse. Ces contre-pouvoirs consacrent le rôle décisif des partis, du parlement, des syndicats et des associations de citoyens. Mais sans aucun doute, la Constitution de 1948 est-elle aussi la plus progressiste jamais conçue en Europe. Elle décrète dans son article 1 que « La République est fondée sur le travail ». Tandis que son article 4 précise d’une manière impérative que « La République reconnaît à tous les citoyens le droit au travail et crée les conditions qui rendent ce droit effectif. » Encore mieux, et tellement en avance sur son temps, l’article 37 affirme le principe « à travail égal, salaire égal » : « La femme qui travaille a les mêmes droits et, à égalité de travail, les mêmes rétributions que le travailleur ». On comprend dès lors l’importance qu’a eue – et a toujours — la Constitution pour les forces progressistes[2] qui ont toujours pu s’appuyer sur ce texte pour fonder leurs revendications et mener leurs combats. Et on comprend que pour les mêmes raisons Giorgia Meloni qui ne peut l’attaquer frontalement tente de la dénaturer ou de la contourner.
Si l’on ne peut évidemment pas qualifier le gouvernement actuel de « fasciste », même si certains de ses membres en gardent quelques stigmates, la politique menée depuis deux ans par l’extrême-droite des Fratelli d’Italia et de la Lega avec la couverture de la droite classique (Forza Italia) s’inscrit dans un projet libéral sur le plan économique, conservateur (voir réactionnaire) sur le plan sociétal et culturel et autoritaire dans le domaine des libertés publiques. En témoignent la politique d’austérité développée avec la bénédiction européenne, les atteintes répétées à la liberté de la presse (procès intentés aux journalistes, mainmise sur l’audiovisuel public) et à la liberté d’expression (lois restrictives et répressives concernant les manifestations politiques ou syndicales avec des règles sécuritaires sans précédent). Certaines de ces dispositions sont clairement anticonstitutionnelles, toutes contredisent l’esprit du texte fondamental. Il faut ajouter que, dans le passé, certains aspects de ces politiques avaient déjà été initiés par Berlusconi mais aussi par Mateo Renzi qui installera définitivement le PD dans le social-libéralisme et par des gouvernements dits « techniques » légitimés par le centre-gauche.
Giorgia Meloni fête ces jours-ci le deuxième anniversaire de son accession au pouvoir. Malgré des ratés et des soubresauts au sein de sa majorité, son pouvoir n’est en rien menacé. Aux élections européennes du 9 juin dernier son parti a encore amélioré son score des législatives de 2022 (passant de 26 à 28,8 %). Elle avance régulièrement dans la construction de son « nouveau récit national », prend les mesures autoritaires que l’on a vues et a imposé son modèle migratoire à l’Europe.[3] Mais sa plus grande offensive est à venir et celle-là met directement en cause l’esprit et la lettre de la Constitution. Son objectif déclaré est la concentration du pouvoir aux mains de l’exécutif ce contre quoi la Constitution est précisément fondée. En juin dernier, la cheffe de gouvernement a déjà fait adopter par le Sénat son projet de réforme constitutionnelle qui veut instaurer ce qu’on appelle en Italie le « premierato ». Il s’agit d’élire le premier ministre au suffrage universel et d’assurer au parti arrivé en tête des suffrages une très large majorité en sièges. Au nom de la stabilité, l’exécutif deviendrait ainsi tout puissant. Cette réforme a aussi pour but et pour effet de diminuer considérablement le pouvoir et l’influence du Président de la République (élu, lui, au suffrage indirect) qui est traditionnellement le garant des institutions. Rôle que remplit pleinement l’actuel président Matarella dont les fréquents rappels à la loi fondamentale irritent particulièrement le gouvernement. Meloni s’est assuré le soutien de son allié la Lega en lui accordant en échange une autre réforme, celle-là au cœur du projet régionaliste, « l’autonomie différenciée » qui accorde plus d’autonomie aux régions, mais qui dans les faits se traduira par une accentuation des inégalités entre le Nord et le Sud, au profit du premier.
Ces deux textes feront sans doute l’objet d’un referendum abrogatoire, mais dont l’organisation reste encore incertaine tout comme son résultat, le cas échéant. L’affrontement sur ces nouvelles dispositions légales comme l’ensemble des mesures autoritaires et illibérales adoptées par le gouvernement Meloni ont un point commun : elles mettent à mal la Constitution de 1948 dont le sort sera bien l’enjeu politique vital des prochains mois.
[1] En 1947 le Parti Communiste Italien compte 2 250 000 membres. Il n’en avait que 7000 en 1943.
[2] C’est bien sur la base de la Constitution que Togliatti avait construit sa stratégie des réformes de structures pour l’établissement d’une « démocratie progressive ».
[3] Voir https://leblognotesdehugueslepaige.be/politique-migratoire-le-triomphe-de-meloni/
Merci pour cette fine analyse qui manquait dans le paysage et notre vue de l’Italie melonienne.