En février 2013, la première participation des Cinque Stelle à un scrutin législatif s’était soldée par un triomphe. Le mouvement populiste de Beppe Grillo totalisait plus de 25 % des suffrages et devenait tout de go le premier (non) parti d’Italie. On allait voir ce qu’on allait voir ! Avec ses 163 représentant. e. s à la Chambre au Sénat — une représentation jeune et féminisée —, les dirigeants l’affirmaient haut et fort : ils allaient ouvrir le Parlement comme on « ouvre une boîte de thon ». Et le 21 mars, le nouveau leader Luigi Di Maio, s’exclamait « les “auto blu” — les voitures ministérielles bleues, insigne par excellence du pouvoir en Italie — sont le mal absolu, si vous me voyez en “auto blu”, lynchez-moi ! ». Cruelle imprudence. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts du Tibre. En 2018, le M5S a connu un succès encore plus spectaculaire en remportant plus de 32 % des voix mais ce fut un succès éphémère.
Depuis lors le mouvement a échoué lors de plusieurs scrutins locaux et a réduit son capital électoral de moitié. Il est actuellement crédité de 15 % des intentions de vote. Il a gouverné successivement avec la Lega de Salvini qui dominait la coalition et ensuite — et encore toujours — avec le PD. Le mouvement est ainsi passé sans état d’âme d’une coalition de droite radicale et populiste à un gouvernement de centre gauche social-libéral, dans les deux cas sous la houlette de Guiseppe Conte qui a assuré la transition contradictoire avec beaucoup d’aisance idéologique. Luigi Maio qui n’avait pas de mots assez forts pour dénoncer les élites et « la caste » se déplace, comme tous les ministres, en « auto blu » et a fait engager un photographe personnel dans son ministère des Affaires étrangères. La plupart des revendications antisystèmes ont été remisées. Le M5S a certes obtenu l’instauration d’une sorte de revenu universel, mais dans une version très limitée ainsi que la réduction du nombre de parlementaires, acquise lors d’un récent referendum qui a bénéficié du soutien de ses alliés du PD. Certes, arithmétiquement il reste indispensable à l’actuelle coalition mais il est considérablement affaibli politiquement.
Mais surtout le mouvement s’est « homologué ». Depuis longtemps il n’était plus cette « structure liquide », ce non-parti sans statut ni même adresse[1] mais il a longtemps fait semblant de ne pas le savoir. Cette fois pourtant, la page est tournée et assumée. Les États Généraux des Cinque Stelle des 14 et 15 novembre ont adopté à la majorité les structures et les usages d’un parti classique : secrétariat, direction, courants avec leur lot de conflits (de personnes) de médiations diverses et de langue de bois. Plusieurs éditorialistes de la presse italienne jugent même que les Cinque Stelle ressemblent désormais à s’y méprendre à un courant de la vieille Démocratie Chrétienne. Il y a des comparaisons plus flatteuses. La règle impérative de la limitation à deux mandats successifs va être « oubliée » afin de permettre à tous les ténors du parti de conserver leur pouvoir. Le tabou des alliances électorales avec des partis traditionnels a vécu. Il est vrai que c’est désormais la condition de survie des Cinque Stelle. Et Luigi Di Maio qui, en dépit des nouvelles structures, se veut le vrai leader du parti en tant que chef de file au sein du gouvernement se dit prêt à négocier avec toutes les forces d’opposition. Y compris donc avec Forza Italia de Berlusconi, jadis considéré – justement- comme un pestiféré par les amis de Beppe Grillo. Le contexte de la crise sanitaire permet de justifier tous les rapprochements notamment pour s’assurer le vote d’un « budget de guerre ». Di Maio et ses amis devront compter avec une opposition interne dont on mesure encore mal l’importance mais qui pourrait être tentée par une scission qui affaiblirait encore le parti-mouvement. Mais surtout ils devront régler l’épineuse question de la fameuse plateforme informatique Rousseau où se réglaient jusqu’ici la plupart des débats ainsi que les choix des candidats aux différentes élections. Le tout dans une pseudo démocratie directe, en fait strictement contrôlée par son animateur principal. Cet instrument, « ce tabernacle technologique qui contient le mystère des origines du mouvement »[2] en a été l’élément fondateur, fruit de l’association de Beppe Grillo et de son mentor Gianroberto Casaleggio, aujourd’hui disparu. Mais son fils, Davide, est désormais le propriétaire personnel et exclusif de la toute puissante plateforme financée par les élus Cinque Stelle. Et il est le seul à détenir la liste des membres du mouvement. Di Maio et la plupart des élus veulent à présent limiter le pouvoir de Rousseau et reprendre certaines de ses prérogatives mais cela promet de rudes batailles juridiques.
Les Cinque Stelle sont donc désormais normalisées. Cette normalisation est sans doute la condition de leur existence politique mais du même coup elle les prive de leur identité. Celle-ci a toujours été floue et mouvante, entre droite et gauche et un « ailleurs » indéfini. Mais l’affirmation populiste et radicalement antisystème constituait à la fois sa personnalité et son socle électoral. Le tournant des États Généraux confirme un état de fait mais laisse entière l’interrogation sur l’avenir des Cinque Stelle et, par conséquent, aussi du cadre politique italien.
[1] La seule adresse du M5S était celle du Blog de Beppe Grillo
[2][2] Pour reprendre l’expression de Ezio Mauro dans La Repubblica (11/10/2020)
dimostra che con il nostro governo le auto blu erano diminuite, con quello dei populisti anti-casta sono invece tornate a crescere. Piu 30 per cento in due anni». Ricordiamo che Renzi e stato presidente del Consiglio tra febbraio 2014 e dicembre 2016, quando ancora era un esponente del Partito democratico. L’espressione «populisti anti-casta» e invece un riferimento al Movimento 5 stelle, forza politica che attualmente fa parte della maggioranza di governo sostenuta anche dal partito di Renzi, Italia Viva.