Cela restera sans doute comme le moment le plus emblématique, peut-être aussi le plus pathétique, du berlusconisme. Mardi, soir, dans la célèbre émission « Porta a Porta » de la RAI, Silvio Berlusconi s’était invité chez son ami l’inoxydable présentateur Bruno Vespa. Pendant de longues et interminables minutes le premier ministre italien a expliqué à la télévision que la question de son divorce était une affaire privée et le fruit d’un complot politique de l’opposition et des journaux de gauche. Dès le départ on mélangeait donc allègrement les genres. Berlusconi a tout nié en bloc : il n’a jamais voulu imposé des starlettes de ses télévisions sur les listes électorales, il n’a jamais eu de liaison avec une jeune napolitaine. Et quand son épouse Veronica Lario a évoqué le bon plaisir de l’Empereur, elle a été trompée. Elle est tombée dans le piège tendu par ceux qui ne supportent pas la popularité indépassable et bien réelle du Président du Conseil. Qu’elle s’excuse et il passera l’éponge !
Le berlusconisme mêle par nature privé et public. Depuis toujours Silvio Berlusconi en a effacé ou reculé les frontières en fonction de ses stratégies politiques. Il a constamment confondu l’individu et la fonction, celle-ci étant naturellement au service de celui-là. Depuis 15 ans, à travers les médias et leur adaptation politique, il a construit une culture et même une véritable idéologie basée sur cette confusion. Et il faut dire que cela lui a bien réussi. Il y a quelques jours, Marcel Gauchet, le théoricien de la crise de la démocratie, expliquait à propos de Sarkozy, mais c’est encore plus vrai avec Berlusconi, qu’il incarnait à merveille ce qu’il appelle « la démocratie du privé », qui est un processus de désarticulation de la démocratie sous l’effet de l’individualisation et de la privatisation du monde ».
Cette fois pourtant peut-être que l’épouse du premier ministre lui a tendu un miroir brisé dont on ne sait quelle image sortira. Ses amis craignent une réaction négative de l’électorat catholique traditionnel. Les évêques froncent les sourcils mais ils savent aussi qu’en dépit des frasques de son leader, la majorité actuelle leur est acquise comme nulle autre. Et puis, Berlusconi joue en permanence sur ses gaffes plus ou moins contrôlées et encore plus sur ses vulgarités machistes. Ses télévisons en ont imprégné la société italienne jusqu’à la garde. Dès lors bien malin qui peut dire à qui profitera finalement ce pas supplémentaire dans la fusion du privé et du public.