Vous avez remarqué ces pudeurs sémantiques. On dit : « la crise du système financier est systémique » mais on ne dit pas : « le capitalisme traverse la crise la plus profonde depuis 1929 ». On dit : « il faut réguler et contrôler », même ceux qui ont tout fait pour empêcher la plus élémentaire des réglementations mais au moindre sursaut favorable de la bourse on sent bien que les mêmes opérateurs sont prêts à « tourner la page » comme ils disent. Or il faut aujourd’hui tirer toutes les conséquences du dysfonctionnement des marchés sauf à revivre rapidement un scénario encore plus dramatique.
Car c’est bien le cœur de ce système qui est touché, c’est le modèle économique lui-même qui doit être remis en cause. On a redécouvert les bienfaits de l’Etat sans qui le système n’avait aucune chance de survivre. Mais l’Etat ne peut être une simple roue de secours du capitalisme défaillant dont on se débarrasse ensuite pour reprendre tranquillement la course au profit. L’Etat ne doit plus être dépouillé de ses prérogatives par un libéralisme outrancier responsable des mésaventures que nous vivons aujourd’hui. Et une belle occasion se présente d’inverser le cours des choses.
Prenez, par exemple, la question de la privatisation totale de la Poste prévue pour 2011 et cheval de bataille de la politique libérale européenne. Depuis le début de la privatisation de ce service public en 2005, les services au public se dégradent, les conditions de travail se précarisent et en fin de compte au bout du processus, ce sont la moitié des bureaux de poste qui seront fermés. Un débat est lancé chez nous, comme en France où l’on évoque même la possibilité d’un référendum. Donner un coup de frein aux privatisations à tout crin, c’est aujourd’hui en revenir à l’intérêt collectif au moins autant que nationaliser les banques en difficultés. Par ailleurs, la démonstration a été faite aux Etats-Unis que l’on ne pouvait assurer la croissance par une politique d’endettement systématique. Pour garantir une vraie croissance la part des salaires ne peut continuer à baisser par rapport aux revenus financiers. Le développement des inégalités par une politique du tout libéral est synonyme de faillite. Alors aude-là des mesures d’urgence qui font l’unanimité, une question est posée : quelles sont les forces politiques qui auront le courage et la volonté d’une telle remise en question ?