« Ferragosto », mot magique incarnant une institution unique de l’italianité. « Ferragosto » : le congé marial et sacré du 15 août, le moment où tout s’arrête dans le pays, les villes se vident, les autoroutes s’engorgent pour s’installer dans d’interminables bouchons. Pendant une dizaine de jours au moins, l’Italie vit au ralenti. Cette année n’a pas échappé à la tradition…encore que la chute du pouvoir d’achat ait tempéré le phénomène. Et puis si l’on voulait bien observer la presse, s’arrêter sur l’une ou l’autre déclaration ou ne pas négliger quelques décisions prises dans la discrétion aoutienne, on voyait se dessiner un portrait d’une vérité aussi consternante qu’inquiétante de l’Italie berlusconienne.
Tout commence le 13 août au Festival de cinéma de Locarno (Suisse italienne), et c’est une fois encore Nanni Moretti, invité d’honneur de cette 61e édition, qui provoque le débat. L’auteur du « Caïman » n’y va pas par quatre chemins devant la presse internationale : « La gauche, l’opposition est divisée en deux : elle est soit autodestructrice, soit en léthargie. Mais il y a plus grave, ajoute Moretti : l’opinion publique est morte en Italie, détruite par le pouvoir exorbitant d’un homme qui a accumulé pouvoirs, richesses et impunités inimaginables dans tout autre pays européen. » Le constat n’est pas neuf mais la situation est désormais banalisée. Et poursuit Moretti, « le pire est que celui qui rappelle le caractère inacceptable de cette situation est montré du doigt comme la sempiternelle et ennuyeuse personne qui revient sur ce grossier et fantomatique antiberlusconisme ».
Bien vu ! Au cœur de l’été, le cinéaste relance un débat quasi déserté par une gauche institutionnelle ( Partito Démocratico comme Rifondazione Communista) totalement repliée sur ses conflits internes et compréhensibles des seuls appareils. Deux jours plus tard, Eugenio Scalfari, le fondateur du quotidien « La Repubblica » et conscience du journalisme italien, approuve Moretti et précise comment il faut entendre la notion vague et controversée d’ « opinion publique ». « Le miroir dans lequel se reflétait l’image que les citoyens avaient de leur pays s’est brisé en tant de morceaux qu’ils reflètent désormais la seule figure et les intérêts fragmentaires de celui qui se regarde, écrit Scalfari. (…) Il n’y a plus une vision du bien commun : voilà le produit du berlusconisme. Et à cela l’opposition n’a pas su répondre, elle a subi l’hégémonie berlusconienne. »
Le débat rebondira peut-être à l’automne ?
Interrogé sur ses intentions, Moretti, qui en 2002 avait déjà été à l’origine des fameux « girotondi » et d’une nouvelle forme d’opposition, note que si les citoyens se sentent représentés par ses propos, c’est sans doute parce qu’il comble un vide….
Entretemps, une autre voix s’est fait entendre. Le 14 août, l’hebdomadaire « Famiglia Cristiana » (un million d’exemplaires) dénonce le danger « d’un retour au fascisme ( sous d’autres formes) en Italie ». L’hebdomadaire catholique (traditionnellement modéré) s’en prend aux mesures du gouvernement à l’encontre des Roms dont les empreintes digitales sont désormais systématiquement relevées et à la présence de l’armée dans la rue pour « lutter contre la délinquance ». Cris d’orfraie à droite et au gouvernement. Le Vatican prend ses distances. Don Sciortino, directeur de Famiglia Cristiana nuance mais persiste et signe sur l’essentiel: « L’Italie est devenue autoritaire » déclare le prêtre-journaliste.
Encore deux ou trois faits qui éclairent cette Italie-là. Le 15, jour même de Ferragosto, Dante De Angelis, cheminot est licencié sur le champ pour avoir dénoncé des atteintes graves à la sécurité des chemins de fers. De Angelis avait divulgué des informations à propos de deux incidents graves sur des Eurostars à Milan. De son côté, le ministre de la fonction publique, Brunetta, mélange les genres et s’en prend en permanence à ceux qu’ils appellent les « paresseux » du service public. D’autres licenciements sont annoncés.
Pendant ce temps, tout au Sud, le tribunal de Catania, 1ère section civile, enlève la garde d’un adolescent de 16 ans à sa mère jugée incapable de veiller à son éducation. Les juges se sont basés notamment sur le rapport des services sociaux qui dénoncent l’appartenance du jeune à Rifondazione Communista, section Tienanmen, et sa fréquentation « de locaux d’extrémistes où l’on consomme de l’alcool et psychotropes ».
Voilà cet Italie que nous renvoient les fragments du miroir, dont parlait Scalfari. Une droite arrogante et autoritaire, une gauche impuissante et perdue, une société anesthésiée. Il faudra du temps…