Les bonnes nouvelles en provenance de la RTBF sont assez rares que pour ne pas saluer celle-ci comme il convient: la désignation de Jean Pierre Jacqmin comme directeur de l’information est un vrai choix éditorial du et de service public. Elle va incontestablement à contre-courant de l’évolution globale de l’information– principalement en télévision — qui d’année en année s’est rapprochée du modèle commercial jusqu’ à se confondre avec celui-ci.
La désignation de Jacqmin est celle d’un professionnel indépendant et talentueux mais aussi porteur d’un véritable projet de service public visant à fournir à l’auditeur, téléspectateur et internaute une information qui lui permette de mieux saisir la réalité du monde d’ici et d’ailleurs. Certes, la partie n’est pas gagnée d’avance. Les contraintes et les obstacles ne vont pas manquer. D’autant qu’elle s’inscrit dans une réforme globale de l’information qui ne manque pas d’inquiéter quant à de nouvelles dérives possibles. Le nouveau (super) directeur de l’information chapeautera, en effet, l’ensemble des rédactions (radio, télé, internet) regroupées au sein d’un lieu unique — la fameuse «newsroom».
Les pièges de la «newsroom»
La conception de cette newsroom est d’abord managériale et architecturale. Elle a été décidée hors des cercles journalistiques même si ceux-ci, après protestation- ont été consultés sur les changements qu’impliquait ce nouveau type d’organisation. Une coordination entre les différents médias est évidemment essentielle tout comme le renforcement de l’information sur internet – domaine dans lequel la RTBF a pris beaucoup de retard-. Mais cette coordination peut se transformer en tentative d’unification éditoriale, privant les différents médias de leur indispensable spécificité. Si la radio n’a pas suivi ces dernières années l’évolution de la télévision vers une « rtlisation » de son information, elle le doit à son autonomie éditoriale et aussi plus largement à la différence d’enjeux de marché entre les deux médias. On ne peut pas ne pas penser que l’objectif des concepteurs de la « newsroom » est de rationaliser à terme les effectifs mais aussi d’unifier la ligne éditoriale qui dans ce type de rapport de force (accentué par le rassemblement physique des rédactions) ne peut qu’être favorable au media dominant qu’est la télé. De ce point de vue aussi la désignation d’un homme de radio à la tête de l’information permettra peut-être une meilleure résistance en faveur des spécificités et, en tous cas, une plus grande attention à leur égard.
Approuvé successivement par les membres d’un jury (dont deux experts externes), l’Administrateur Général et le Conseil d’Administration, sans oublier la Société des Journalistes, le projet de Jean Pierre Jacqmin bénéficie d’une légitimité totale même si — on y reviendra — il a soulevé une opposition du côté de certains journalistes de télévision. Les uns et les autres ont pu trancher en connaissance de cause et en faisant de vrais choix éditoriaux.
Légitimité et résistances
Le nouveau responsable de l’info était sans ambiguïtés dans son projet : « Si le rôle premier de l’information est de tenir les gens au courant, écrit-il, la mission de service public est de veiller à y ajouter les éléments de compréhension et de décryptage : devoir d’information, devoir d’explication, devoir de débat. (…) Mais de quel type d’information est-il question ? poursuit Jacqmin. De celle que nous pensons être la meilleure à livrer ou de celle que « nos clients » veulent recevoir. Ni l’une, ni l’autre. Nous ne pouvons plus nous arroger le droit de savoir ce qui est bon pour les autres, mais nous ne devons pas non plus nous soumettre à ce qui peut à priori intéresser le public » . En approuvant ces mots la direction de la RTBF semble vouloir renouer avec une politique de l’offre volontariste qui est constitutive de l’identité même du service public alors que la politique de la demande ( supposée) a dicté sa loi ( en télévision) au fil des années entrainant des dérives vers une information de plus en plus spectaculaire et marquée par la « faitdiversification ».
C’est bien cette dernière ligne éditoriale qu’incarnait Benoit Balon-Perin, directeur de l’unité info-sports TV. Celui-ci était d’ailleurs tout aussi explicite dans son projet intitulé «Une information plus populaire». « Nous devons, écrit-il de son côté, nous rendre plus populaires en pensant avant tout à ceux qui nous écoutent et nous regardent. (…) Etre populaire c’est raconter des histoires, faire parler les gens et arrêter de faire institutionnel » . On ne saurait être plus clair. Balon-Perin voulait aller plus loin dans « l’information de proximité » qui s’entend généralement comme une « demande » du public pour plus de faits divers (des « histoires »), de « vécu » (« faire parler les gens ») et de témoignages au détriment de l’analyse. C’est la politique que menait déjà le JT depuis des années mais sans tout à fait l’assumer dans un discours qui continuait, en contradiction avec la pratique, à vanter la spécificité de l’information de service public. Le tout avec des résultats d’audience catastrophiques, le JT de RTL (y compris parfois celui de 13.00) dominant largement le 19.30 de la RTBF. Celle-ci était donc à la croisée des chemins : en faire plus vers un modèle commercial totalement assumé ou retrouver une identité publique plus forte. Et, au-delà des personnes, c’était bien l’alternative des projets Jacqmin/Balon-Perin. Les autorités RTBennes ont tranché en faveur du premier ce qui, si les mots ont un sens — et sauf hypocrisie majeure-, signifie du même coup non seulement le désaveu du second mais aussi de la ligne éditoriale actuelle du JT. Pour différentes raisons, cela ne se dira pas publiquement mais cela aura différentes conséquences.
On sait qu’une partie des journalistes du JT étaient farouchement opposés à la nomination de Jean-Pierre Jacqmin et que certains d’entre eux ont tout fait en interne et en externe pour l’empêcher. Parmi eux, les principaux présentateurs et responsables de la ligne éditoriale actuelle, ce qui est, somme toute d’une logique implacable. Il est peu probable que cette opposition ne laisse pas de trace même si une autre partie de la rédaction du JT aura une attitude légitimiste. Par ailleurs, les journalistes qui souhaitent un redressement de la ligne éditoriale qui rendent à la RTBF son originalité et sa qualité en matière d’information, disposent désormais d’un projet clair porté par un responsable pleinement approuvé. Pour ce dernier, les choses ne seront pas simples pour autant. Le défi est énorme sur le plan managérial et technologique, il est fondamental sur le plan éditorial. C’est sans doute la dernière chance pour le service public de redevenir la référence. Les embûches ne manqueront pas. Et on verra alors si la direction de la RTBF assume pleinement ses propres choix, donnant toute l’autorité et les moyens nécessaires à celui qui les incarne à présent pour passer à l’acte…