Wahoub Fayoumi a enfin retrouvé une liberté dont elle n’aurait jamais dû être privée. Tout a été dit — ou presque — sur la faiblesse et la vacuité du dossier à charge des quatre inculpés. Tout reste à faire pour contrecarrer une législation antiterroriste dont on perçoit encore mieux aujourd’hui les dangers pour la démocratie. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici mais bien d’une question soulevée par la suspension puis la réintégration de la journaliste à la RTBF. On sait que Wahoub Fayoumi a été réintégrée dans son emploi à la RTBF mais pas dans sa fonction (elle a été versée au service de documentation, hors du journalisme actif, donc, du moins pour l’instant).
Appartenance politique et interdit professionnel?
La question du rapport entre engagement et journalisme est aussi vieille… que le journalisme, même si elle peut se poser dans des conditions particulières dans le cadre du service public. En ce qui concerne Wahoub Fayoumi, on n’ignorait ni ses engagements ni sa militance. Je ne connais pas personnellement la journaliste mais j’ai pu apprécier l’un ou l’autre de ses reportages qui, par ailleurs, ont apparemment toujours satisfait sa hiérarchie. L’appartenance au Secours Rouge n’est pas un délit même si on peut être en désaccord total avec certaines de ses prises de positions et même considérer qu’il faut les combattre fermement, ce qui est mon cas.
Les déclarations de la journaliste, à sa sortie de prison, affirmant en même temps que ses trois coinculpés son identité « communiste » ont sans doute agacé la direction de la RTBF et certains de ses collègues mais elles ne modifient pas fondamentalement la question de l’exercice de son métier. On peut certes s’interroger sur ce que signifie aujourd’hui une identité «communiste» (et de quel communisme, s’agit-il d’ailleurs ?). Mais l’affirmation d’une appartenance politique radicale (dans le cadre démocratique et du respect des droits de l’homme) ne vaut pas interdit professionnel, du moins jusqu’ici.
Les journalistes du service public ont leur propre code déontologique. S’il est évident qu’un(e) journaliste ne doit pas se voir confier un dossier où il est partie prenante et que des prises de positions publiques dans tel ou tel domaine ne sont pas souhaitables avec la couverture journalistique du même événement (principalement pour des raisons de crédibilité vis-à-vis du public), un engagement politique démocratique ne peut aucunement disqualifier professionnellement. D’abord parce que le journaliste demeure un citoyen comme un autre disposant des mêmes droits et devoirs que les autres avec comme seules réserves le mode et le moment de l’expression publique. Ensuite parce que le journaliste n’est pas un personnage éthérée planant au-dessus la mêlée, en particulier dans une époque comme la nôtre où la lutte idéologique est intense. Les médias, et la télévision en particulier, sont le reflet démultiplicateur de la pensée dominante. Le plus souvent les journalistes véhiculent « l’air du temps » et le modèle de société qui l’accompagne par conviction ou par automatisme. Et cela n’est jamais considéré comme un «engagement» à l’inverse de tout « dissonance » politique, sociale ou idéologique. Forcement minoritaire, celle-ci est stigmatisée comme «militante» ou «engagée» alors que son expression fait partie intégrante d’une vision pluraliste de la société. Dans le plus banal des commentaires ou même des comptes-rendus, par le choix des mots et des images, nous exprimons toujours un «point de vue». Celui qui est le fruit de nos origines sociales, de notre formation et de notre culture, de notre histoire personnelle et collective. Jean Lacouture, un des maîtres du journalisme du XXe siècle, a pour habitude de dire à ce propos que nous sommes le produit étrange des influences «que nous avons vécu dans le ventre de notre mère jusqu’au dernier livre que nous avons lu».
Par ailleurs, soit dit en passant, le choix du journalisme a non seulement souvent été consubstantiel à l’engagement politique mais celui-ci a été aussi un enrichissement intellectuel et professionnel. La capacité de contextualiser, les connaissances historiques et les facilités d’expression sont chez bien des journalistes le fruit de leur propre expérience politique passée ou présente. Les plus aigus des rédacteurs en chef ne le nieront pas.
Appartenance politique et plan de carrière
La question de l’engagement se pose d’une manière particulière à la RTBF où l’appartenance politique conditionne encore bien des carrières. On a pu passer du jour au lendemain de la fonction de porte-parole du gouvernement à celle de directeur de la télévision publique sans que cela pose la moindre question aux gardiens de la déontologie. Les allers-retours entre les cabinets ministériels et la hiérarchie de la RTBF (avec généralement dans ce dernier cas une promotion à la clef) ne suscitent aucune remarque sur «l’engagement» des intéressés. Et les véritables campagnes électorales qui accompagnent encore parfois certains trains de nominations n’affectent pas les défenseurs de la neutralité journalistique. Certes, on pourrait rétorquer, qu’en l’occurrence, il s’agit plus souvent de manifestations clientélistes ou carriéristes que d’adhésions idéologiques mais on vit bien à cet égard une politique des deux poids et deux mesures. La dépendance partisane est tolérée ou encouragée, l’indépendance idéologique est intolérable ou condamnée. Et entendons-nous bien : l’appartenance et la militance politique de journalistes dans le cadre de partis politiques traditionnels me semblent évidemment totalement légitimes lorsqu’il s’agit de choix de conviction.
Une information réellement citoyenne, celle qui offre au public des clefs de compréhension du monde sans lui dicter sa pensée, ne peut-être que le fruit de la confrontation et de la pluralité des points de vue. Cela suppose la préservation de la diversité idéologique et la liberté de l’engagement dans le respect de règles déontologiques qui intègrent l’une et l’autre.