Giorgio Napolitano joue ses dernières cartes : son mandat vient à échéance le 15 mai et jeudi prochain, le 18 avril, le Parlement entamera le scrutin qui doit tenter de désigner son successeur. Mais les dernières initiatives présidentielles sont loin d’avoir recueilli le consensus démocratique qui avait été jusqu’ici la marque de son mandat. On savait que le chef de l’État, obsédé par l’ingouvernabilité italienne, faisait pression sur le centre gauche afin qu’il accepte de négocier avec Berlusconi un gouvernement d’union nationale qui rassemblerait le PD et le PDL qui n’en demandait pas tant. Et pour appuyer ceux qui au sein du Parti Démocrate ne sont pas défavorables à cette hypothèse, Giorgio Napolitano, ancien dirigeant de l’aile « migliorista » du PCI, comme on l’appelait alors (en fait, l’aile droite du parti), a fait ses derniers jours une étrange comparaison historique entre la situation que vit aujourd’hui l’Italie et celle qui prévalait en 1976 quand Enrico Berlinguer, secrétaire général du PCI, appliquait la politique dite de « solidarité nationale ». Revenons donc un instant sur l’histoire et la transposition qu’en fait Napolitano qui en était déjà un acteur important.
La politique de « solidarité nationale » était une sorte de succédané du « compromis historique » que Berlinguer avait avancé en 1973 et qui, au-delà de leurs divergences et de leurs contradictions, préconisait l’alliance des deux grands partis populaires qu’étaient la Démocratie chrétienne et le Parti communiste italien. Berlinguer avait construit cette proposition stratégique à partir du constat que l’on ne pouvait gouverner une démocratie occidentale avec 51% des voix ni, de surcroît, contre de larges secteurs des couches populaires que rassemblait toujours la DC. L’échec de l’Union populaire au Chili et le coup d’État militaire contre Allende en 1973 avaient confirmé Berlinguer dans son choix stratégique. Mais le compromis historique n’était pas seulement une manière pour un PCI, alors au faîte de sa popularité (près de 30 % des voix au mitan des années 70), d’accéder enfin au pouvoir central. Il ne s’agissait pas non plus d’une simple alliance tactique entre deux partis mais d’une confrontation idéologique entre deux mouvements populaires sur la base d’un vaste programme de réformes.
Un contexte incomparable
Il y avait là une volonté de confrontation culturelle très gramscienne entre les aires catholique et marxiste. Mais Berlinguer resta sans interlocuteur : la DC ne cherchait qu’un appui parlementaire. La politique de solidarité nationale était donc un repli voué à l’échec. Par son abstention, le PCI permettait en 1976 la naissance d’un gouvernement Andreotti subtilement qualifié à l‘époque de « gouvernement de la non-défiance ». Le PCI pensait pouvoir gouverner depuis l’opposition ce qui, sous certains aspects, n’était pas totalement faux. Mais pour l’application d’une politique – celle dite des « deux temps », les sacrifices d‘abord, les réformes (qui ne venaient jamais…) ensuite, qui allait le couper d’une partie importante de son électoral. Aldo Moro et Enrico Berlinguer tentèrent encore en 1978 de donner corps à un gouvernement basé cette fois sur une majorité incluant les communistes mais l’enlèvement puis l’assassinat du premier par les Brigades rouges mit définitivement fin à l’expérience. Pour le PCI, le bilan de cette politique de « solidarité nationale » fut catastrophique tant au niveau électoral qu’à celui de l’évolution du parti lui-même. Berlinguer en fit d’ailleurs une autocritique sévère qui aboutit à un tournant politique majeur du PCI auquel s’opposa alors le Camarade Giorgio Napolitano. La suite est une autre histoire….
L’union nationale ou la mort du PD
Mais le parallèle historique qu’a tenté le Président Napolitano n’est pas innocent. Il est aussi étrange de la part d’un homme d’une aussi grande culture et expérience politique. Le contexte n’est évidemment pas comparable. Pour rappel, l’Italie vivait alors sous la menace terroriste des Brigades rouges et le règne des affaires en tous genres où non seulement la DC mais aussi le PSI de Bettino Craxi prenait sa large part. On ne peut, cependant, comparer une DC même largement corrompue mais qui conservait au moins pour une part de ses dirigeants un projet collectif et le parti entreprise de Silvio Berlusconi. Entre Aldo Moro, homme d’État, tentant de sortir l’Italie des blocages de la guerre froide (quelles que soient ses propres motivations partisanes et idéologiques) et Silvio Berlusconi dont l’action politique ne vise qu’à protéger ses intérêts personnels, aucun parallèle n’est légitime, ni même supportable. La manœuvre de Napolitano est d’autant plus curieuse qu’un gouvernement d’union nationale PD/PDL signifierait la mort politique du centre gauche.
Déjà, les divisions apparaissent au sein du PD. Cinquante jours après les élections, la crise s’approfondit d’autant plus que l’impossibilité de former une majorité se double des manœuvres pour l’élection du nouveau chef de l’État. Bersani a été « grillé » dans une tentative impossible : le leader du PD a bien proposé un programme de réformes qui s’accordait avec une bonne partie des revendications du Mouvement 5 Stelle, Beppe Grillo n’ a eu de cesse de s’opposer à toute ouverture impliquant une prise de responsabilité et vise uniquement à cultiver son propre capital électoral.
On vit sans doute un moment capital dans l’histoire de l’évolution politique italienne. Le prochain épisode aura sans doute pour protagoniste majeur, le jeune et charismatique Mateo Renzi, maire de Florence[[On y reviendra rapidement]] et rival malheureux de Bersani aux dernières « primaires » du PD. Les sondages prévoient déjà un bel avenir à celui pour qui le Parti démocrate ne peut être que celui de Blair et Obama et qui éradiquera les dernières traces de la gauche historique au sein du PD. Renzi partage ce point commun avec Berlusconi et Grillo que dans tous les débats, il répond aux questions en se situant en dehors d’un monde politique réfuté et disqualifié. Chacun dans son registre veut incarner la « vraie vie » contre la « fausse politique », le « pays réel », en quelque sorte. Étrange convergence…