Coronavirus : « bien commun » et profits

Le propre des crises — et sans doute leur fonction — est d’éclairer la société bien au-delà de leur objet immédiat. La crise du coronavirus nous parle de tout : du nous, du je, du ils. Les grandes solidarités et les petites lâchetés tissent l’horizon de nos angoisses. Les appels lénifiants au bien commun n’arrivent pas à masquer les intérêts particuliers (et ceux du capital en premier lieu) même s’il semble difficile de les mettre en cause… pour cause d’urgence sanitaire.

Et malgré tout, on n’en finit pas de s’étonner. Depuis hier, un hôpital public — le CHU Saint Pierre à Bruxelles — a lancé un appel aux dons pour acquérir des respirateurs manquants. Dans une société qui accumule les richesses autant que les inégalités, dans un système qui détient le record de la fraude fiscale et des exonérations de cotisations patronales, un service public en appelle à la charité…

Un gouvernement vient d’obtenir la confiance et disposera demain les pouvoirs spéciaux : qu’attend-il pour réquisitionner les respirateurs, les masques et tous les autres produits nécessaires[1] à la sauvegarde des malades ? Il n’en a pas encore eu le temps ? Alors, voyons demain quelle sera réellement la priorité entre les intérêts collectifs et les profits privés. La manière dont le gouvernement a permis jusqu’ici le maintien d’activités productives non essentielles qui mettent en danger la santé des travailleurs est significative.

Dans l’urgence même s’inscrivent déjà les choix de demain. Le cœur sur la main, ceux qui hier ont mené la politique la plus réactionnaire et antisociale depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale et qui vont continuer à gouverner nous disent que « rien ne sera plus comme avant » ou que « sur le plan économique, on va devoir sortir de nos schémas idéologiques classiques » (Charles Michel). La chanson est connue. En 2008 les États — et donc les citoyens — ont sauvé les banques pour mieux leur permettre ensuite de poursuivre leur course aux profits… privés (voir Belfius). Le soutien qu’il faut apporter au gouvernement en place pour prendre les mesures indispensables pour lutter contre la pandémie n’exclut pas la vigilance. Même dans la crise la plus aiguë, aucune décision n’est totalement neutre. Le « bien commun » est un concept que la droite et le patronat brandissent avec d’autant plus de conviction qu’ils espèrent ne pas devoir en payer le juste prix. La sauvegarde collective exige plus que jamais que chacun y contribue selon ses moyens. L’oublier, dans les circonstances actuelles, serait tout simplement criminel.

[1] À un moment où l’industrie pharmaceutique va engranger ses bénéfices records

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5 réponses à Coronavirus : « bien commun » et profits

  1. Quelles mesures pour les familles pauvres confinées dans des logements surpeuplés, sans jardin ni balcon ? Dans des quartiers où la promenade hygiénique recommandée par les autorités relève de l’utopie, où les plaines de jeu sont fermées ? Où il n’y a pas de livres, où personne ne peut aider les enfants à faire un peu de travail scolaire. Où la parole circule trop peu, où la promiscuité ne peut souvent conduire qu’à la violence. On attendrait que le gouvernement inclue dans ses priorités la lute contre l’aggravation de la fracture sociale.

  2. De Neuter dit :

    Magnifique et d’une clarté cet article ! Ces analyses sont toujours très pertinentes.
    Merci

  3. Christophe QUINTARD dit :

    Effectivement, nu article très clair sur un sujet éminemment compliqué.
    Que des hôpitaux (privés, publics) et les médecins fassent appel à des dons, cela me pose toutefois un problème.
    : pourquoi ne demandent-ils pas aux médecins qui exercent via une société, de payer leurs impôts et cotisations sociales qu’ils ont éludés grâce à cette construction juridique ? Cela permettrait déjà que les caisses des pouvoirs publics soient quelque peu moins désargentées.
    Que ce type de professions qui ne peuvent mener à bien leur formation que grâce au financement collectif et public, recourent (quasi-)systématiquement à de l’optimalisation financière pour contribuer au minimum au financement de biens publics (dont font partie les soins de santé) ne pose question.
    Il serait plus que temps de mettre fin à ce mécanisme d’optimalisation fiscale et sociale que constitue le passage en société des professions libérales et autres indépendants ou cadres .
    De même, quand je lis que l’ULB et l’hôpital Erasme en appellent au versement de dons et mettre en avant la déductibilité fiscale qu’ils bénéficieront au moment où les pouvoirs publics vont avoir dramatiquement besoin de ressources pour répondre aux défis budgétaires qui s’annoncent, je trouve cela pas très opportun.

  4. Decraecker MClaire dit :

    Très très bon choix pour la peinture illustrant le propos. Ensor like this.

  5. Michel Regnier dit :

    Le soir du 17 mars, j’ai trouvé tout à la fois sidérant, délicieux, incroyable et surréaliste d’entendre non seulement Sophie Wilmès mais aussi Pierre-Yves Jeholet et même GLB nous abreuver du mot « solidarité » en lieu et place de « compétitivité », ainsi que « n’achetez que le strict nécessaire » un peu plus tard, suite aux rayons des supermarchés dévastés…

    Cette tragédie inédite et inattendue – pour nous les citoyens en tous cas – nous plonge dans une incertitude relativement inquiétante voire angoissante, mais alors s’agissant de tout ce qui va s’ensuivre… !

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