Le meilleur du cinéma politique italien de la grande époque n’aurait pu imaginer un tel scénario. Entrées/Sorties, cris et chuchotements, insultes et renversement d’alliances, rodomontades et virevoltes : Berlusconi a offert un spectacle inédit et pathétique. Finalement forcé de s’aligner sur ses propres dissidents, ceux qu’il traitait, hier encore, de « traditori », le Caïman s’est résigné dans la douleur à faire voter la confiance au gouvernement Letta. Le Premier Ministre sort évidemment renforcé de l’épreuve même s’il était certain de l’issue positive du vote depuis qu’un groupe substantiel de parlementaires du PDL avait déjà annoncé son soutien. Ce 2 octobre marque peut être la fin d’un cycle (mais attention, elle a déjà été a si souvent annoncée…). L’intervention du Cavaliere résonnait comme le dernier acte d’une fin de partie. Mais les choses sont-elles aussi simples et linéaires ?
Certes l’Italie échappe, dans l’immédiat, au chaos où l’aurait plongé une crise prolongée et des élections anticipées. Sur les bancs du gouvernement, la complicité quasi physique entre Enrico Letta et Angelino Alfano sautait aux yeux. Les deux hommes cultivent une sorte d’amitié générationnelle de longue date, dans la grande tradition « transversale » italienne. Le n° 2 du PDL semblait aussi satisfait de l’issue du vote que la démonstration d’émancipation qu’il venait enfin d’affirmer à l’égard du « Père ».
La droite berlusconienne est divisée, déchirée. De nouveaux groupes parlementaires sont en gestation. Une recomposition est à l’œuvre : une droite « normalisée », débarrassée de la démagogie populiste et du césarisme berlusconien est-elle possible ? Il est un peu tôt pour l’affirmer. « Faucons » ou « Colombes », les dirigeants de cette droite portent la « marque » berlusconienne et ont été nourris en son sein. Par ailleurs que se passera-t-il vendredi lorsque la Commission parlementaire prononcera normalement la déchéance politique de Berlusconi ? Les amis et obligés d’hier oseront-ils franchir le Rubicon ? Ou la solidarité envers le vieux leader reprendra-t-elle le dessus ? Avec quelles conséquences ?
Enrico Letta est le vrai vainqueur de cette séquence politique mémorable. Il a joué serré et renforce son autorité mais le centre gauche n’y est pour (presque) rien et demeure une force politique sans projet et en proie aux rivalités internes même si elles ont été tactiquement et provisoirement mises sous le boisseau. Berlusconi est peut-être, cette fois, mis sur la touche mais le berlusconisme, cette idéologie du capitalisme le plus égoïste et anti démocratique et le plus sordide, aussi, qui imprègne la société italienne depuis 20 ans ? Les héritiers les plus lointains du parti oublié d’Antonio Gramsci devraient se souvenir de ce que signifie le concept « d’hégémonie »…