Le menton relevé, les yeux droits dans la caméra, sur le ton martial qu’il affectionne, Manuel Valls égrène : « En région PACA, j’appelle à voter pour Christian Estrosi face à l’extrême droite. Dans la région Nord Pas de Calais Picardie, j’appelle à voter pour Xavier Bertrand face à l’extrême droite. Et dans la grande région Est, j’appelle à voter pour Philippe Richert face à l’extrême droite qui ne peut pas l’emporter. » C’était lundi sur TF1 au lendemain du premier tour. Jamais un dirigeant socialiste, premier ministre de surcroît, n’avait ainsi appelé sans hésitations ni fioritures à voter pour la droite afin de faire barrage au FN lors du second tour. Pas de circonvolutions, ni restrictions ni conditions, on est « républicain pour deux » veut signifier Emmanuel Valls face à une droite déchirée mais qui se cantonne dans le « ni – ni » et maintient ses listes là où elles sont arrivées en troisième position. La question du retrait se posait naturellement pour tenter d’empêcher la victoire du FN et elle se posait dans de termes dramatiques pour le PS qui non seulement n’aura plus aucun élu dans des régions historiquement marquées par le socialisme français (celles de Pierre Mauroy et Gaston Defferre) mais qui sera privé de toute influence institutionnelle. Les premiers sondages donnant les Le Pen battues indiquent que le retrait pourrait empêcher le FN d’accéder à la tête de ces régions mais rien n’est joué. Et les socialistes n’ont pas fini de payer la ligne politique globale imposée par le couple Hollande/Valls.
Cela dit, même en cas de défaite au second tour, la question du Front National ne sera naturellement pas réglée. Avec plus de 6 millions d’électeurs au premier tour, elle reste même entière face à une droite et une gauche aussi désemparées l’une que l’autre et qui pour l’instant ne répondent que par des stratégies purement électorales certes indispensables mais qui ne touchent à aucun problème de fond posés par l’hégémonie culturelle et idéologique qu’a réussi à imposer le FN. La gauche radicale n’est pas en reste dans l’impuissance, sinon le déni. Mélenchon est sorti de son silence pour benoitement expliquer que « si nous avions mobilisé nos électeurs comme le FN nous (le Front de Gauche) serions au coude à coude avec le PS et la gauche à 40 % » ![[ Le Monde du 10/12/2015]] Tout simplement. La naïveté – ou la prétention- de Mélenchon en dit long sur l’incapacité et l’aveuglement d’une gauche radicale incapable de capter au moins une part de la colère populaire qui s’exprime dans le vote FN. Tout est à (re)faire pour la gauche.
En s’affirmant comme le champion du « front républicain », Valls exprimait à la fois une position et une posture. Il prenait date pour une recomposition politique qu’il appelle de ses vœux depuis longtemps et qui, de fait, se traduit déjà dans la politique qu’il mène à la tête du gouvernement. Avant même les attentats du 13 novembre et le climat d’ « union nationale » qu’ils provoqueront, il avait déjà plaidé en faveur de la fusion des listes de gauche et de droite en cas de danger FN, au grand dam des candidats du PS déjà considérés comme défaits en pleine campagne. Mais il faut aussi se souvenir que dès 2009, après une lourde défaite socialiste aux élections européennes, alors député de l’Essonne, il avait fait une sortie remarquée : il proposait de supprimer purement et simplement l’appellation « Parti Socialiste » : « Parti », parce qu’il « enferme », « socialiste » parce que dépassé. Et de plaider déjà pour une recomposition politique vers le centre et une partie de la droite. On ne peut pas lui nier une certaine constance… Mais ce n’est pas ce projet-là qui permettra à la gauche de renouer avec un électorat populaire abandonné de fait au FN.
La nouvelle confirmation du poids de l’extrême droite dans les urnes comme dans la société française provoquera sans nul doute, à terme, des recompositions à gauche comme à droite (on y reviendra) mais elle exige surtout des remises en cause fondamentales pour affronter cette réalité qui semble totalement échapper aux partis politiques.