Je n’ai pas d’ennemis à gauche. Depuis le début de mon engagement politique (cela remonte à un peu plus…d’un demi-siècle), je n’ai jamais eu d’ennemis à gauche et j’ai consacré l’essentiel de cet engagement à tenter d’œuvrer pour le rassemblement de cette gauche qu’elle soit socialiste, chrétienne, écologiste, communiste (en son temps) ou radicale. De l’appel au rassemblement des progressistes de Léo Collard en 1969 à la mise sur pied de l’Olivier ( dont les Assises pour l’Egalité en 2001 furent les prémisses), à travers des revues, des colloques, des débats, des actions collectives, c’est la constante de mon engagement.
Jusqu’ici, au fil du temps, des contextes et des candidats, j’ai voté communiste, socialiste ou Ecolo. Aujourd’hui, vous le savez, j’ai choisi d’appeler à voter pour les listes PTB-GO dans ce que je considère la cohérence de ma ligne de conduite. A mes amis socialistes et écolos, à ceux qui envisagent de voter pour eux, et qui s’interrogent sur mon choix ou qui parfois s’en indignent, je voudrais une dernière fois m’en expliquer avant le scrutin du 25 mai. Tout d’abord, j’ai la prétention (c’est la seule) d’être constant dans la défense des valeurs d’une gauche à la fois réellement démocratique et authentiquement réformiste (dans le sens où la réforme peut modifier la structure du système). Cette gauche-là, si elle doit se définir par un mot, est la gauche dont l’action, la stratégie, le programme, les alliances ont pour objectif l’égalité. » L’égalité, cette étoile polaire de la gauche », disait le philosophe italien Norberto Bobbio. L’action politique implique le compromis (particulièrement dans notre système) mais chaque compromis doit se mesurer à l’aune de ce critère : est-il compatible avec le combat pour plus d’égalité ?
Et, de ce point de vue, l’adoption du traité budgétaire européen (sans débat) par le PS comme par Ecolo, a été déterminante dans mes choix. Ce traité qui a quasi valeur constitutionnelle condamne à l’austérité et produira donc de l’inégalité sans limites. Voilà un compromis gouvernemental obligé disent ceux qui l’ont adopté même à contrecœur mais voilà, en réalité, un compromis qui compromet le combat pour l’égalité. Voilà une frontière.
Et cette frontière-là me sépare du PS et d’Ecolo : la continuité que je revendique sans sectarisme, ni certitude absolue m’oblige à la franchir. Cela ne m’empêche évidemment pas de voir que des militants socialistes et écologistes continuent à se battre dans leurs partis respectifs en faveur d’une « autre politique ». Mais le modèle dans lequel leurs partis s’insèrent dorénavant est sans conteste possible celui d’un libéralisme – économique et culturel- triomphant en dépit des échecs que celui-ci a essuyés en particulier depuis la crise de 2007-2008. Le PS, comme toute la social-démocratie européenne, est en panne de projet et, par glissements progressifs, de compromis en compromis et, en dépit de son discours, il a revêtu les habits du social libéralisme. Et ce n’est pas nouveau : faut-il rappeler, dans les années 90, la politique des » consolidations stratégiques » qui camouflait mal les privatisations du secteur public ? Le PS demeure un parti populaire et dont bien des militants se revendiquent fièrement de la gauche, mais sa politique du « sans nous ce serait pire » a atteint ses limites. Le léger « adoucissement » des mesures les plus dures prises contre les travailleurs, les chômeurs, les retraités, le sauvetage aléatoire, et au cas par cas, des victimes d’une politique d’asile indigne : tout cela ne suffit plus à justifier l’aval global des politiques néolibérales. Bien sûr, les rapports de forces, cela existe mais en deçà d’une limite décente, ils doivent aussi amener à dire « non ». C’est évidemment difficile quand on partage le pouvoir depuis près de 30 ans et que des générations entières de cadres ne savent pas ce que signifie le mot « opposition » et qu’ils ont été formés dans le seul objectif de « gérer » parfois à tout prix.
Ecolo demeure (heureusement) le défenseur incontestable des causes environnementales et a modifié l’approche de la société et de la gauche sur ces questions. Les écologistes ont aussi inventé une démocratie interne qui est précieuse (même si elle est aujourd’hui inégalement appliquée). C’est fondamental. Avec d’autres, à une époque, j’ai pensé, j’ai espéré que le mouvement écologiste pouvait se « mixer » avec une social-démocratie renouvelée et une gauche radicale inventive, dans le refus du néolibéralisme et dans la critique fondamentale du capitalisme. Cet espoir a été déçu. Des militants et des élus verts continuent de porter cette vision de l’écologie politique et s’inscrivent dans la critique du capitalisme. Mais le parti Ecolo s’est lui aussi « homologué » et une bonne part de ses cadres se sont « notabilisés » insérés dans des luttes de pouvoir parfois éloignées de la « politique autrement ».
La crise de 2007-2008 aurait dû favoriser une radicalisation de la gauche gouvernementale face à l’explosion des inégalités et l’arrogance d’une droite libérale qui poursuit ses affaires et sa politique, comme si de rien n’était. Ce ne fut pas le cas. Et ce n’est plus supportable.
Voilà les raisons de fond qui m’ont poussé, avec bien d’autres, à choisir une autre perspective et à appeler à voter en faveur des listes PTB-GO. D’autant que pour la première fois depuis 30 ans (les sondages le confirment même si ce ne sont que des sondages…), la gauche de la gauche peut transformer l’essai et disposer d’élu-e-s dans les assemblées parlementaires. C’est important pour toute la gauche. Le résultat du PTB-GO pèsera dans le rapport de force gauche/droite comme sa campagne a déjà pesé dans le discours de la gauche traditionnelle.
Celle-ci en appelle, comme il se doit, au vote « utile ». C’est un peu court quand ce n’est pas culpabilisant sinon parfois même méprisant. Cela fait des décennies que la gauche traditionnelle tient ce discours qui lui permet à chaque fois d’échapper à son bilan et de demander encore un chèque en blanc. Face au programme socio-économique de la NVA et du MR, c’est le rapport de force gauche/droite qui sera primordial. Et aujourd’hui le PTB-GO contribue non seulement à renforcer la combativité contre les projets de la droite et les politiques néolibérales mais il ramènera aussi dans les bureaux de vote des électeurs désespérés par les abandons et l’impuissance du politique.
Non, chers camarades, ne pas voter PS, ce n’est pas voter NVA, comme l’affirment vos slogans. L’ « argument » est d’autant plus fallacieux que dans l’imbroglio électoral, la NVA est un repoussoir de circonstances sans que l’on ne sache désormais qui négociera avec qui… Chaque jour apporte sa contradiction. Cela ne fait pas une politique. Le combat contre la droite nationaliste et anti sociale passe par l’affirmation claire d’une politique de gauche assumée et combative. C’est vrai, chaque choix stratégique en politique comporte sa part d’inconnues et de risques. Mais aujourd’hui, ici et ailleurs, face à la barbarie d’un capitalisme débridé mon choix en faveur du PTB-GO est le pari de la raison et de l’espoir.
PS Ce texte n’engage pas « Politique », revue de gauche pluraliste où d’autres points de vue s’expriment également.