L’issue des élections législatives du 25 septembre prochain provoquées par la démission du gouvernement Draghi (le 21 juillet dernier) ne fait guère de doutes. La droite et l’extrême — droite[1] devraient l’emporter haut la main. Les sondages (même si l’on s’en méfie) sont unanimes et accordent autour de 45 % des suffrages à la coalition regroupant les Fratelli d’Italia (extrême-droite) de Giorgia Meloni, La Lega de Matteo Salvini et Forza Italia toujours aux mains de l’éternel revenant Silvio Berlusconi. Les scrutins précédents avaient déjà largement démontré que la droite est majoritaire dans le pays. Et avec 45 % des voix, elle peut empocher entre 55 et 60 % des sièges grâce à un système électoral complexe et inique[2] mis en place — il faut le rappeler — par le PD pour tenter d’empêcher — en vain — le raz de marée des Cinque Stelle en 2018. De plus, au sein de cette coalition, c’est désormais Meloni qui occupe la première place (24 % selon les sondages) et revendique donc le poste de Présidente du Conseil. Le paradoxe historique est à son comble : tout juste cent ans après la Marche sur Rome[3] qui permit à Mussolini d’accéder au pouvoir et d’installer une dictature d’une violence sans précédent, l’Italie se donnerait une femme issue du néo- fascisme comme Première ministre.
Giorgia Meloni, 45 ans, a dès sa jeunesse effectué le parcours classique du néofascisme italien à travers les organisations étudiantes et de jeunesse liées au MSI (Mouvement Social Italien). Ensuite, tout en maintenant des positions radicales, elle suit l’évolution de sa famille politique en quête de normalisation et en 2012, avec des responsables de diverses organisations d’extrême-droite, elle fonde Les Fratelli d’Italia qu’elle a littéralement portés au seuil du pouvoir.[4] Pour ce faire, tout en restant une proche d’Orban ou de Vox, l’extrême droite espagnole, Meloni a fait assaut d’atlantisme et soutient sans restrictions l’Ukraine. De même elle veut rassurer l’opinion européenne. Dans une récente vidéo, destinée à la presse étrangère et où elle s’exprime en trois langues (anglais, français et espagnol, mais pas en italien…) elle assure qu’« Il y a plusieurs décennies que la droite italienne a relégué le fascisme à l’histoire, en condamnant sans ambiguïté la privation de démocratie et les infâmes lois antijuives ». Il n’est pas certain que cela suffise : son parti entretient encore des relations avec des individus qui, eux, se revendiquent toujours du fascisme. L’entourage de Meloni est composé quasi exclusivement d’hommes qui ont fait leurs armes dans le néofascisme. Et, elle-même, a été proche de personnages qui incarnent radicalement cette même idéologie. Sollicitée après ses dernières déclarations, elle se refuse pour l’instant à supprimer de l’emblème de son parti la flamme tricolore, vieux symbole mussolinien.
En tout état de cause, un gouvernement Meloni porterait un programme d’une radicalité extrême. Le fer de lance du programme fiscal est une « flat tax » (aux alentours des 15 à 20 %) qui revient naturellement à favoriser les hauts revenus au détriment des plus bas. La politique anti-immigrée retrouverait Matteo Salvini aux commandes. En termes de valeurs sociétales, Giorgia Meloni revendique haut et fort de placer son action sous le triptyque « Dieu, famille, patrie ». Sur le plan démocratique, les dérives autoritaristes affleurent régulièrement au nom de « l’ordre à restaurer ». Quant à la question de la représentation politique, la réapparition de Silvio Berlusconi est en soi un programme. À 85 ans, il Cavaliere rêve de revanche : non seulement il se présente au Sénat dont il a été exclu en 2013 après sa condamnation pénale pour fraude fiscale, mais il compte bien, avec le soutien de ses alliés, s’emparer de la présidence de la Haute assemblée, devenant ainsi le deuxième personnage de l’État. Déjà Berlusconi a déclenché la polémique en déclarant que si une réforme « présidentialiste » soutenue par la droite voyait le jour, Sergio Mattarella, l’actuel chef de l’État serait prié de démissionner. Il n’est pas sûr qu’il aide ainsi son camp divisé sur la question et qui doit faire face à une avalanche de critiques. Mais l’incident est emblématique des interrogations anxieuses qui se posent sur le sort de la démocratie italienne.
Entre le nationaliste conservateur et néo-atlantiste, fondement de cette nouvelle d’extrême-droite des Fratelli d’Italia, le souverainisme anti immigré de la Lega et le vieux libéralisme affairiste de Berlusconi, les divergences ne manquent pas, mais, dans un premier temps au moins, elles n’empêcheront sans doute pas le cauchemar de s’installer dans la péninsule.
Les causes de cette situation sont nombreuses et ne sont pas toutes propres à l’Italie. Mais le centre (gauche) du PD, le centre droit de diverses obédiences, et le Mouvement des Cinque Stelle plongé dans une instabilité pathologique et carriériste portent tous de lourdes responsabilités dans l’installation du rapport de force actuel. Ils ont été incapables de constituer une sorte de « front républicain » seule formule susceptible de faire échec à Meloni et ses alliés. Et il faut aussi interroger les conséquences de la démission de la politique au profit d’une « bonne gouvernance » technocratique, mais jamais neutre. On y revient rapidement dans le prochain épisode de ce « désastre annoncé ».
[1] Que la plupart des médias italiens et étrangers s’obstinent à désigner sous le vocable de « coalition de centre droit » offrant ainsi un certificat de respectabilité à ses composantes.
[2] 1/3 des sièges sont attribués par un scrutin uninominal majoritaire (qui favorise les coalitions) et 2/3 désignés selon un scrutin de listes à la proportionnelle.
[3] Le 28 octobre 1922, Mussolini mène la marche paramilitaire sur Rome. Le but — atteint — des faisceaux italiens est de faire pression sur la classe politique libérale qui, de fait, lui confiera le pouvoir.
[4] Lors de leur première participation électorale en 2013, les Fratelli obtenaient 1,96 %. Moins de dix ans après, ils sont estimés à 24 %.
Ça va un peu mieux, je viens de gerber.
Je vais me préparer un cocktail Molotov !
Je ne m’y connais qu’un peu en politique italienne mais suis toujours intéressée par tes apports clairs et fouillés. Pour cet apport-ci je comprends un peu mieux les enjeux des futures élections et le cri q’ils évoquent
Magnifique analyse, peu rassurante.
Intéressante analyse.
Il serait bien que « le prochain épisode » du ‘désastre annoncé’ soit proche, afin que l’on puisse établir le lien avec la présente lecture.
Merci.
Je ferai au mieux…
Rage et tristesse. Merci Hugues
J aime lire tes analyses. Les causes que tu évoques comme principales sont intéressantes.
Effroyable effondrement des valeurs portées par le Parti Communiste Italien. Sorte d’impasse infernale dont on ne voit pas qui et comment l’Italie pourrait trouver l’issue. Quelle tristesse !
« Une sorte de Front républicain… », écris-tu, mais fondé sur quel programme assez « pragmatique «
pour être accepté par une majorité d’électeurs qui se disent de gauche ? Et pour enfin dépasser l’incantation et le wishful thinking de radicaux autistes ?
Oui, « une sorte de front républicain » à définir plus précisément dans le contexte italien mais où les partis conservent leur autonomie politique en défendant contre l’extrême-droite des valeurs communes. En Italie, par exemple, celles de la Constitution ( fondée sur le droit au travail) particulièrement progressiste. Le front républicain n’ a jamais un « programme commun » mais il est vrai qu’il a montré ses limites.
Merci Hugues.
Tes éclairages sont toujours aussi lumineux. Même dans un monde de plus en plus confus avec une droitisation continuée.
J’y vois plus clair. Merci infiniment !