L’élection présidentielle italienne a toujours été composée à la fois de petites intrigues et de grands desseins, les premières permettant parfois aux seconds de se réaliser. C’est une tradition entretenue par le vote secret des 1009 grands électeurs (sénateurs, députés et délégués régionaux), la fragmentation des partis politiques et le passage fréquent de parlementaires d’un groupe à l’autre (plusieurs dizaines pour la législature en cours, souvent transfuges des Cinque Stelle). Le tout permet aux « cani sciolti » (chiens sans colliers) de jouer un rôle sans rapport avec leur importance politique réelle, mais aussi aux francs-tireurs des groupes constitués de faire échouer le candidat de leur propre parti. Ce fut notamment le cas en 2013 pour Romano Prodi, candidat par acclamation du PD et qui fut « trahi » par une partie de ses propres électeurs.
Cette fois, il s’agit de trouver un successeur au Président Mattarella, figure populaire à l’ancienne (de tradition démocrate chrétienne, mais intègre) qui incarne au mieux l’esprit de l’union nationale classique comme le respect sourcilleux de la Constitution [1] et dont le mandat expire le 4 février. Le premier tour de scrutin aura lieu le 24 janvier. Les trois votes initiaux requièrent une majorité des 2/3. Ensuite le chef de l’État peut être élu à la majorité absolue (505 voix). S’il n’y a pas d’accord politique préalable entre les principaux partis sur une personnalité consensuelle, toutes les hypothèses (et candidatures) sont possibles. Deux figures antinomiques sont au centre de l’attention. La plus invraisemblable d’abord : Silvio Berlusconi. À 85 ans le Cavaliere rêve toujours de la consécration suprême, celle qui, à ses yeux, légitimerait devant l’histoire son « ventennio »[2], ses vingt ans de domination de la scène politique italienne, vingt ans de règne « hors la loi » mêlant d’une manière inédite les conflits d’intérêts, à travers ses pouvoirs politique, médiatique et économique. Théoriquement Berlusconi peut compter sur 451 bulletins de vote, ceux de ses alliés de la Lega et des Fratelli d’Italia. Même si Salvini et Meloni, les deux dirigeants de l’extrême droite ont sans doute d’autres visées et ne le soutiendront sans doute que pour un premier essai. Il n’empêche Berlusconi, comme il le dit, part à la pêche de ses soixante voix manquantes. Dans ses filets il espère bien draguer Matteo Renzi et son petit parti Italia Viva (scission du PD) de plus en plus orienté à droite et dont les capacités au « transformisme » politique semblent indépassables. L’élection de Berlusconi n’est théoriquement pas envisageable (quoique…), mais sa seule candidature en dit long sur l’état de la droite (et l’extrême droite) italienne. Il n’y a pas de précédent dans les démocraties occidentales : un candidat à la présidence de la République condamné à plusieurs reprises par la justice qui serait amené à présider le Conseil supérieur de la Magistrature et qui pendant le scrutin présidentiel devra répondre d’un nouveau procès. A défaut d’élection, Berlusconi se contenterait du statut de « faiseur de roi » que les voix rassemblées initialement sur son nom lui offriraient dans la suite des tractations électorales.
L’autre candidature la plus citée, et, elle, la plus vraisemblable est celle de Mario Draghi. Elle n’est pas sans poser, elle aussi, quelques problèmes évidemment d’une autre nature. Le Premier ministre, chef d’une majorité d’union nationale dont lui seul peut sans doute être le garant, a fait quelques pas vers l’autocandidature. Lors de sa conférence de presse de fin d’année, Draghi a estimé qu’il avait mené sa tâche à bien en ce qui concerne le plan de relance et que désormais sa politique pouvait être menée à bien par d’autres. « Je ne suis qu’un grand-père à la disposition des institutions », a ajouté le grand homme précisant « que son destin personnel ne comptait pas ». Se non e vero e ben trovato…
En tous cas, avec la candidature de Draghi qui ne s’officialisera pas sans de solides garanties de la part de la constellation politique qui le soutient actuellement, on assisterait à une première institutionnelle avec, en cas d’élection, le passage direct de la charge de président du conseil à celle de président de la République qui aurait à désigner son propre successeur à la tête du gouvernement. Il y aurait là une double conséquence politique : l’évolution vers un présidentialisme au détriment des pouvoirs du législatif et une sorte d’institutionnalisation de la politique d’union nationale qui, de fait, répond d’abord aux souhaits et aux objectifs de la Confindustria, l’organisation patronale italienne et à ceux des institutions européennes et internationales. Certes, les imprévus et les obstacles peuvent encore être nombreux. Les partis sont divisés (parfois y compris en leur sein) sur le maintien de la majorité actuelle jusqu’à la fin de la législature en 2023 si l’issue présidentielle le permet ou sur l’organisation d’élections anticipées. Les sondages, mais aussi la réduction du nombre de parlementaires adoptée lors du référendum de septembre de 2020[3] tempèrent les ardeurs électorales des uns ou des autres.
L’absence d’une gauche politique restreint évidemment la portée des débats à venir. Mais il n’y a de ce point de vue rien de neuf sous le ciel de la péninsule. Place donc aux grandes et petites manœuvres…
[1] On peut rappeler ici que la Constitution italienne de 1947, l’une des plus progressistes au monde, est basée sur le droit au travail et est garante de l’antifascisme.
[2] En référence au « ventennio » mussolinien
[3] Les parlementaires passeront de 945 à 600.
Aux manœuvres, intrigues et autres rebondissements propres à la politique italienne, il ne faudra pas négliger l’incidence Omicron qui risque de jouer aux trouble-fête.Plusieurs dizaines de grands électeurs seraient déjà actuellement en quarantaine pour contamination ( 14 jours au minimum) avec leur Green Pass suspendu temporairement. Ces absents au vote pourraient peser sur l’issue du scrutin.