À première vue, on pourrait dire encore un démocrate-chrétien de plus pour diriger l’Italie, ou en tous cas l’un de ses partis majeurs. Après le président Matarrella, le Premier ministre Draghi, voici Enrico Letta à la tête du PD. Letta fut un éphémère premier ministre d’avril 2013 à février 2014 à la tête d’une large coalition regroupant droite et centre gauche. Il fut expulsé de son poste par les manœuvres de couloirs de son camarade de parti, Matteo Renzi qui voulait à tout prix prendre sa place. Enrico Letta a donc été élu samedi secrétaire général du PD pour succéder à Nicola Zingaretti qui n’en pouvait plus des luttes de courants mobilisés par la seule question de leur propre pouvoir au sein du parti. Letta est donc rentré de son exil parisien qu’il avait choisi en 2014 après sa défenestration et où il dirigeait avec succès l’École des Affaires internationales de Science Po. Il est sans doute l’homme de la dernière chance pour le parti de centre gauche qui traverse une crise d’identité majeure provoquée notamment par les dérives blairistes héritées de Renzi. Mais avec quelles réponses politiques ?
Enrico Letta issu du monde catholique a appartenu très tôt à la gauche démocrate-chrétienne pour intégrer plus tard le PD. Ce qui l’amena à participer à la coalition de l’Olivier et à devenir un proche collaborateur de Romano Prodi dont il fut un des ministres les plus écoutés. Cet intellectuel à la fois discret et brillant se reconnaît comme maître celui qui fut un économiste très réputé et un homme politique influent de la gauche DC, Beniamino Andreatta (1928-2007). Il copréside également la Fondation Jacques Delors aux côtés de Pascal Lamy, président d’honneur. Ajoutons qu’il fait partie du Conseil de surveillance de Lagardère, à la demande du fonds d’investissement activiste Amber. Voilà le profil de ce secrétaire général qui veut refonder un « nouveau PD ». On est loin de la gauche, un mot qu’il n’a d’ailleurs pas prononcé lors de son discours d’intronisation. Son parcours politique l’identifie plutôt au progressisme libéral. Sa culture s’apparente incontestablement à la tradition démocrate chrétienne, mais le personnage est complexe et ne peut se résumer à ses origines. [1]
Cela dit, son intervention placée sous le triple signe « du travail, des femmes et de la jeunesse » a tranché par rapport au discours traditionnellement terne et prudent du PD. Enrico Letta n’a pas hésité à placer le droit du sol, une revendication peu populaire, au premier rang de ses préoccupations. Et il a innové sur deux plans essentiels qui sont d’ailleurs liés. Tout d’abord il a dit haut et fort que « le PD devait recommencer à parler et à donner des réponses aux millions de personnes les plus fragiles et d’exclus ». Il faut, a-t-il ajouté, que le parti « sorte des centres urbains et se tourne vers des lieux plus périphériques, géographiquement et socialement ».
C’est évidemment fondamental pour un parti qui aujourd’hui recrute l’essentiel de ses électeurs au sein de la bourgeoisie et des classes moyennes urbaines et qui a abandonné les couches populaires aux partis populistes et d’extrême-droite. D’autre part — et l’un ne va pas sans l’autre, Letta a été catégorique sur un point tout aussi essentiel : « le territoire sera notre terrain de jeu ». Le principe de base est clair : « il faut repartir des sections ». Pour le PD qui avait précisément abandonné « le territoire » au profit de la politique médiatique et digitale (en dehors bien entendu des contraintes imposées par la situation sanitaire), il s’agit d’une révolution copernicienne. La tâche est extrêmement difficile et rien ne dit qu’il pourra la mener à bien. Car tant du point de vue de l’organisation que de la capacité à mener une réflexion idéologique, le PD est dans une situation d’extrême faiblesse. Et la quasi-unanimité qui a salué sa désignation ne doit pas faire illusion. Les différentes écuries qui composent le PD ne vont pas se désagréger du jour au lendemain. Les amis de Matteo Renzi qui sont demeurés au PD et qui sont toujours puissants dans les groupes parlementaires sont en embuscade et feront tout pour préserver leur position de pouvoir. De ce point de vue, quel que soit le jugement politique que l’on ait sur son projet et ses orientations idéologiques, Enrico Letta n’a pas choisi le chemin de la facilité.
[1] Voir : https://leblognotesdehugueslepaige.be/enrico-letta-ou-la-nouvelle/
On attend, alors, la suite ?
…elle ne tardera pas.