L’ouverture d’une ligne verte où l’on trouvera des psy extérieurs à l’entreprise et la suspension jusqu’à la fin octobre des mutations : voilà la réponse du PDG de France Telecom à la vague de suicides – 24 en 18 mois- qui se multiplient dans son entreprise. On ne sait s’il faut évoquer le dérisoire ou le cynisme de la réponse qui survient après un long déni du drame qui se joue à France Telecom. Et en tous cas ce ne sera pas suffisant pour enrayer cette souffrance au travail portée jusqu’à l’extrême. Car ce sont les fondements mêmes de l’organisation du travail qui sont en cause.
Depuis sa privatisation en 1996, France Telecom a supprimé 70.000 emplois – dont 22.000 dans les trois dernières années- et a modifié profondément le cadre de son organisation avec pour but exclusif une rentabilité maximale dans un contexte de concurrence forcenée. Cela signifie une augmentation considérable de l’exigence de rentabilité, la disparition d’équipes complètes, une mobilité permanente et en fait l’affrontement violent d’une culture professionnelle, issue du service public et d’une logique de profit immédiat et sans limites. Chez France Telecom qui veut encore supprimer des emplois, il demeure 65 % de fonctionnaires que l’on ne peut licencier facilement. D’où la pression permanente pour faire partir ceux dont on veut se débarrasser, cela passe par la précarisation, les mutations forcées et le harcèlement. Cela a produit une souffrance au travail à son stade ultime, la mort. Pour la psychanalyste Marie Pezé, spécialiste de la souffrance au travail, « c’est là le signe le plus évident de la perte du vivre ensemble. C’est aussi la solitude forgée par les organisations du travail mise en place depuis 20 ans avec le démantèlement des équipes, les entretiens d’évaluations et la mise en concurrence des travailleurs. »
Mais France Telecom n’est pas un exemple isolé. Ces méthodes d’organisations du travail sont aujourd’hui dominantes dans notre société. Et partout la même logique est à l’œuvre. La question de la pénibilité du travail et celle de sa précarisation sont devenues des questions vitales pour de très larges catégories de salariés. D’autant que le débat collectif est écarté au profit d’une individualisation des problèmes sociaux. Comment s’étonner dés lors que face à l’accroissement conjugué des cadences, des responsabilités et de la précarité, le travailleur éprouve de plus en plus le sentiment d’une solitude tragique face à une épreuve insurmontable.