Cela avait commencé dès le 26 mai dans la soirée quand le spectaculaire résultat du PTB fut acquis. La vieille droite libérale et catholique retrouvait les accents d’une guerre froide oubliée. Les amalgames « entre les extrêmes » fleurissaient : le PTB était assimilé au Vlaams Belang comme danger pour la démocratie. Un intellectuel libéral à la retraite profitait de sa qualité d’historien pour se transformer en propagandiste d’un anticommunisme suranné et anachronique. C’eût été dérisoire si ce n’était aussi indigne. Mais cet acharnement était sans doute à la mesure de l’événement : jamais depuis 1949, la gauche radicale n’avait obtenu en Belgique une telle représentation. Il est vrai qu’en même temps le PS réalisait son plus mauvais score depuis la même période. Cela ne signifie pas pourtant qu’il s’agisse d’un simple transfert de voix. La campagne du PTB est aussi allée chercher une partie de celles et ceux qui se réfugiaient désormais dans l’abstention. Des analyses plus fines nous diront plus exactement quelle est la structuration de ce vote. Mais le fait est là : le PTB est le parti qui a le plus progressé le 26 mai.[1]
L’inscription dans le paysage politique à un tel niveau confirme l’exception politique que constitue la Belgique francophone dans le concert européen. Elle entraine évidemment des responsabilités. Outre le problème évidemment fondamental du rapport de force, j’ai déjà indiqué la difficulté que représente la participation à des majorités pour un parti qui a connu une croissance aussi rapide (notamment en matière de formation de cadres)[2]. Cette question de la participation peut se poser au niveau des régions bruxelloise et wallonne. Ce 28 mai, la FGTB wallonne rappelait d’ailleurs, à juste titre, qu’une majorité de gauche est mathématiquement possible à Namur et qu’elle l’appelait de ses vœux. Cela dit, les consultations risquent d’être purement formelles, les partenaires potentiels, socialistes et écolos, ayant surtout à cœur de démontrer que « le PTB ne veut pas prendre ses responsabilités » et de se débarrasser au plus vite d’une hypothèse dont ils ne souhaitent pas qu’elle se réalise. De son côté, sinon à trahir son électorat, le parti de la gauche radicale ne peut concevoir de participer à une majorité sans que celle-ci ne constitue une rupture avec les politiques social-libérales menées jusqu’ici notamment par le PS. Mais il y a peut-être aussi une occasion pour le PTB de mettre les autres partis progressistes face à leurs responsabilités. Il y a dans les programmes de chacun des revendications communes et parfois même des emprunts à celui du PTB (la taxe des millionnaires, la pension minimum, l’âge de la retraite, les investissements publics et traités européens, les transports en commun gratuits, logement,etc.). En prenant l’initiative de proposer celles-ci et quelques autres[3], comme base d’un accord de majorité, le PTB mettrait alors le PS et Ecolo au pied du mur et rencontrerait la volonté et l’espoir d’un grand nombre d’électeurs de gauche, toutes tendances confondues.
Et sans nécessairement participer à un exécutif, la gauche radicale pourrait appuyer un tel programme de l’extérieur (comme elle le fait au Portugal). Soyons lucide, il y a naturellement peu de chance qu’une telle initiative ait des chances de succès, mais elle aurait l’avantage de voir plus clair dans les réelles intentions de chacun et de vérifier si les programmes électoraux ont une vie après le scrutin. Quelle que soit l’issue d’un tel scénario, en admettant qu’il y ait la moindre possibilité de se mettre en place, le succès du PTB ouvre des perspectives sans précédent pour la gauche belge. À n’en pas douter, le travail sera long et difficile. À un tel niveau de représentation, on attend une amplification du rôle des parlementaires : dans le relais des luttes sur le terrain (comme cela a déjà été le cas dans la législature précédente), mais aussi dans le travail parlementaire plus classique. Avec des groupes parlementaires et les moyens que cela suppose, la force d’initiative pourra se développer. La représentation parlementaire du PTB est la seule qui inclut des ouvrier. e. s. Elle sera, avec plus de force, une voix différente. Dans les assemblées comme dans les médias, les pièges ne manqueront pas pour des élu. e. s sans expérience parlementaire. Le travail de formation et d’encadrement demeure une priorité pour un parti qui a connu un tel bond en avant. Il a déjà montré qu’il avait quelques atouts en la matière.
[1] Pour rappel 42 élus dans les différentes assemblées, régionales, fédérale et européenne avec de 5 à plus de 14 % des suffrages selon les différents scrutins
[2] https://www.levif.be/actualite/belgique/du-vote-utile-et-du-principe-de-precaution-en-politique/article-opinion-1137263.html
[3] En fonction des niveaux de pouvoir
Ce texte a été publié ce 03.06.19 sur le site du Vif.be :https://www.levif.be/actualite/belgique/le-ptb-les-programmes-et-le-pouvoir/article-opinion-1148233.html
J’ai été profondément choqué, pendant la campagne électorale, de voir Hervé Hasquin se retrancher derrière son statut d’historien pour assimiler Vlaams Belang et PTB et les rejeter avec le même souverain mépris.
Il est affligeant de voir un si brillant esprit épouser sans la moindre réserve ce niveau de vilenie politicienne.
Car l’homme fut grand, avant de patauger dans cette misérable fange :
– en autorisant le port du voile à l’ULB alors qu’il en était le recteur, il donna l’occasion à des centaines de jeunes musulmanes d’entendre leurs professeurs stigmatiser l’aveuglement et le fanatisme propres au communautarisme, et de pratiquer à leur tour le libre-examen ;
– il imprima au Collège Belgique, qui depuis des lustres s’encroutait dans la routine, une dynamique qui permit à l’institution de devenir un éditeur respecté, et à des milliers d’étudiants de tout âge d’accroitre leur connaissance de l’évolution culturelle et scientifique ;
– il rédigea avec Jean Baubérot et Jean-Philippe Schreiber la « Déclaration universelle sur la laïcité au XXIe siècle »
(https://www.lemonde.fr/idees/article_interactif/2005/12/09/declaration-universelle-sur-la-laicite-au-xxie-siecle_718769_3232.html)
De 1885 à 1933, le Parti Ouvrier Belge, fort de ses fondamentaux marxistes, organise la conquête de l’égalité politique, et arrache des réformes sociales capitales. Jusqu’à ce jour, le Parti Socialiste qui lui succéda oublie progressivement ses combats initiaux ; il se “social-libéralise” et crée une multitude de niches qui lui permettent de caser ses membres, les faisant passer – à quelques Magnettes près – du rôle d’actifs militants à celui de clients ensommeillés.
Vint alors le Parti des Travailleurs de Belgique dont le programme n’est rien d’autre mutatis mutandis que… la “Charte de Quaregnon” de 1885. Le PTB n’est donc pas plus extrémiste – ce qu’ont compris un grand nombre d’électeurs – que ne l’étaient les Louis de Brouckère, Jules Destrée, Paul Pastur ou César De Paepe.
C’est ce qu’eût pu acter Hervé Hasquin en chaussant ses lunettes d’historien s’il n’avait substitué à son statut académique celui de suppôt du Mouvement Réformateur.