Au lendemain du dernier débat de la primaire de gauche, les éditorialistes vedettes de la presse française qui ont en commun une longévité sans précédent dans l’histoire des médias ont repris avec délectation l’antienne sociale libérale : Valls la réalité contre Hamont le rêve. Depuis que l’ancien président des MJS est arrivé en tête du premier tour, ce slogan cultivé par l’ancien premier ministre nourrit l’artillerie lourde du monde médiatique. Les questions des journalistes, comme les inlassables commentaires des éternels commentateurs ont fait de cette affirmation l’axe exclusif de leurs interventions.
Hier, lors de cet ultime débat sans surprises, Manuel Valls a répété son credo de social-libéral autoritaire. Benoît Hamon a revendiqué sa part de rêve, si l’on pense qu’aujourd’hui la fidélité à quelques valeurs fondamentales de la gauche appartient au registre onirique. « Je ne vends pas du rêve mais de la justice », s’est exclamé Hamon. Si sa proposition de revenu universel d’existence est hautement contestable dans sa philosophie comme dans son financement et son application, l’ancien ministre de l’éducation national a eu le mérite incontestable – et presque iconoclaste dans le contexte d’un parti socialiste sans vision- de poser la question du travail. Tant du point de vue de sa raréfaction que de sa qualité. La mise en cause du tabou de la croissance, l’affirmation que le social et l’écologique sont inséparables, le développement de la transition écologique font, au contraire, de Benoît Hamon le candidat (au sein du PS…) du réalisme à court et moyen terme.
De même, la défense d’une laïcité – « sans adjectif » a précisé Hamon- basée sur l’application totale de la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat, le plaidoyer pour la liberté absolue de la femme, y compris celle de porter un foulard, le refus d’un état d’urgence pérennisé comme celui de la déchéance de nationalité apparaissent, ici encore, comme le réalisme du vivre ensemble face à un laïcardisme vallsien qui n’hésite pas à dénier les lois de la République et les décisions constitutionnelles. Quelle que soit l’issue de la primaire et de ses suites, on saura gré à Benoît Hamon d’avoir fait un sort aux affrontements identitaires cultivés par l’extrême droite qui a réussi à en imposer la primauté idéologique à la droite et à une partie de la gauche. Pour le reste, le candidat de la gauche du PS a décliné ses positions en matière d’annulation de la dette, de refonte des traités européens et de rejet de l’austérité. Parfois cela manquait certes de précisions mais cette rupture avec la politique Hollande-Valls est indispensable à la reconstruction d’une gauche socialiste et à l’ouverture vers la gauche radicale. Rupture, sauf, il faut le noter, en matière de politique extérieure et d’interventions militaires.
Bien entendu, cela ne modifiera pas fondamentalement les rapports de force en acte dans la campagne présidentielle. On sait que l’issue de la primaire, dimanche prochain, bénéficiera sans doute d’abord soit à Macron, en cas de victoire de Hamon, soit à Mélenchon si Valls l’emporte. Mais si, comme c’est le plus probable, Benoît Hamon s’impose, un débat devra avoir lieu avec Jean-Luc Mélenchon même si celui-ci, renversant l’éternelle argumentation du vote utile, a exclu toute éventualité qui ne serait pas un ralliement à sa propre candidature. La campagne et les sondages en faveur du candidat de la France Insoumise le placent naturellement en position de force. Mais ce débat sera indispensable. D’abord parce que pour faire barrage à la droite radicale et à l’extrême droite, un candidat de gauche n’a de chance que s’il rassemble les électeurs de la France insoumise et ceux de la gauche socialiste. D’autre part, parce qu’au-delà de l’horizon présidentiel, la formation d’une gauche alternative exige d’éviter les déchirements entre ses différentes composantes potentielles.