Florence, le 16 février 2014
Cela restera comme la première image du gouvernement Renzi (s’il voit le jour, ce qui est le plus probable). Berlusconi en chef de délégation de Forza Italia au Quirinale salué, hier, par la garde républicaine sabre au clair: le sénateur déchu, l’ancien président du conseil condamné pour fraude fiscale participant aux consultations pour la formation du gouvernement. Certes, la rencontre avec le président de la république a été glaciale et rapide. Giorgio Napolitano en avait fixé les limites les plus strictes. Il n’empêche, cette image-là demeurera dans les mémoires comme le péché originel du futur gouvernement Renzi.
Sabre au clair pour un repris de justice…
Car c’est bien Matteo Renzi qui a fait renaître de ses cendres l’homme qui pendant 20 ans a incarné l’anomalie démocratique européenne. En en faisant son interlocuteur privilégié pour les réformes électorale et institutionnelle (et en l’accueillant au siège du PD), le maire de Florence a remis Berlusconi au centre du jeu. Quel pacte le jeune homme –très- pressé et ambitieux (il qualifie lui-même son ambition de « démesurée ») a-t-il conclu avec le diable ? Rien ne permet, pour l’instant, d’en juger mais la question peut être posée. Dans sa volonté frénétique de « réformes » (à entendre dans le sens « blairiste » du terme – on y reviendra dans les prochains jours), Renzi évoque rarement la justice et, en tous cas, ne dit rien des lois à revoir sur la corruption, la prescription, les faux en bilan ou les conflits d’intérêts. Autant de lois faites sur mesure (« ad personam ») et qui ont assuré les beaux jours du berlusconisme. L’ancien magistrat et actuel sénateur PD, Felice Casson, souligne aujourd’hui l’urgence de mesures à prendre dans ces domaines si l’on veut éviter la répétition possible de ces dévoiements de la démocratie. Mais, ajoute-t-il, « ce sont précisément des thèmes volontairement oubliés pour éviter les affrontements »[[ La Repubblica 16 février 2014]] L’ancien magistrat rappelle aussi « que c’est la troisième fois que le PD tire Berlusconi de la « fosse ». D’Alema d’abord, Veltroni ensuite et aujourd’hui Renzi mais cette fois, c’est pire parce que Berlusconi est un repris de justice condamné pour fraude fiscale ».
Renzi avec l’estime de Berlusconi…
Le même Berlusconi disait hier qu’il avait de « l’estime » pour Renzi « qui, lui, n’est pas communiste ». Les parallèles entre les deux hommes ne manquent pas : la politique vue comme une entreprise de séduction permanente et de personnalisation de tous les enjeux, une complaisance vis-à-vis de l’antipolitique, un rejet des idéologies (dont on sait qu’il masque évidemment des choix idéologiques sans équivoques), un mépris des partis comme organisation collective et un appétit de pouvoir sans limites. Berlusconi ne doit pas être loin de penser que ce « giovanoto » Renzi (39 ans) pourrait faire un héritier convenable…
« Quelle nuit atroce : je n’ai pas arrêté de rêver de Fanfani
« Ne m’en parle pas : moi d’ Andreotti et de Forlani … »
Staino dans L’Unita 14 févier 2014
En tous cas, le jeune hâbleur dont l’arrogance camoufle l’inexpérience a accompli une étape supplémentaire d’un long parcours annoncé. Il avait proclamé la liquidation d’une génération entière de cadres du PD (la fameuse « rotomazione », la mise à la casse des vieilles voitures), c’est chose faite. Il ambitionnait le poste de premier ministre : il est passé sur le corps de son contemporain, et compagnon de parti, Enrico Letta. Les deux hommes sont d’origine démocrate chrétienne (comme de nombreux dirigeants qui comptent aujourd’hui au PD…) mais sans doute de « courants » différents comme on disait à l’époque triomphante de la « baleine blanche ». Renzi a mené son opération éclair loin d’un parlement tenu à l’écart. Il contrôle le PD mais il a définitivement tué le centre gauche au profit d’un centrisme, au mieux, social libéral. Sa garde rapprochée tient tous les leviers de commande, ses opposants sont en lambeaux. Mais il a n’a pas encore tout à fait gagné la partie : Angelino Alfano (Nouveau Centre Droit) n’est pas décidé à se laisser dévorer par l’ambitieux florentin. Il pose ses conditions politiques et freine la frénésie de l‘impétrant. S’il veut asseoir son pouvoir à longs termes, Matteo Renzi doit encore se méfier : tout le monde n’est pas Giulio Andreotti ni même Silvio Berlusconi…