Libye : la pacification des bombardiers

Doutes, questionnements, troubles et même contorsions : l’intervention militaire en Libye n’a pas fini de provoquer des interrogations et des fractures, y compris au sein de la gauche. Entre la conviction qu’il fallait intervenir pour empêcher un bain de sang parmi la population civile et le rejet d’une opération taxée de néocolonialiste, entre les partisans de l’ingérence humanitaire et les soutiens de la gauche anti-impérialiste, il existe toute une gamme de nuances et de prises de positions intermédiaires. Elles traduisent généralement un malaise et l’impossibilité de fixer une attitude « juste » dans une situation beaucoup plus complexe que celles qui avaient présidé aux calamiteuses et interminables interventions en Irak et en Afghanistan. On connait les arguments des uns et des autres et on sait, en tout état de cause, que l’indignation de la dite « communauté internationale » est à géométrie variable. Suffit-il de rappeler que l’on veut officiellement empêcher le massacre en Libye alors qu’on le tolère à Bahreïn ? Ou encore, la tolérance complice de la même communauté internationale lors de l’opération israélienne sur Gaza en 2009 ?
On peut aussi pragmatiquement penser que le débat n’est plus de mise puisque l’intervention a déjà lieu. On voit bien, cependant, que déjà les interprétations sur le mandat de l’ONU divergent, que des dissensions apparaissent au sein même des « interventionnistes » sur l’ampleur et la longueur des opérations, sur son commandement et même sur leurs objectifs finaux. L’approbation de l’intervention ne s’est pas faite sans restrictions mentales qui n’ont pas fini de produire leurs effets politiques contradictoires.

« Je ne crois pas plus qu’avant aux vertus de bombardements aériens pour installer la démocratie ou « pacifier » un pays » : Rony Brauman, ancien président de MSF s’exprimait ainsi ce lundi 21 mars dans « Libération ». Heureusement, encore une fois, cette voix s’est élevée pour nous ramener à un bon sens qui, en l’occurrence, rejoint les valeurs fondamentales de la gauche toutes tendances confondues. Brauman ne dit pas qu’il fallait abandonner les rebelles libyens à leur sort. Bien au contraire, il aurait fallu les armer, dit-il, leur donner des appuis militaires mais qui n’impliquent pas une intervention extérieure. « Une opération aérienne n’a jamais permis de remporter une guerre. Celle illusion technologique relève de la pensée magique », ajoute-t-il.

Rony Brauman qui intervient régulièrement à propos des effets des interventions humanitaires (qu’elles soient du domaine des conflits armés ou des catastrophes naturelles) affirme avec clarté que « les droits de l’homme ne sont pas une politique, et l’opposition canonique entre droits de l’homme et realpolitik est une impasse. Il y a une politique tout court, qui est l’art de vouloir les conséquences de ce que l’on veut. Les droits de l’homme sont convoqués ou révoqués à leur guise par les Etats ». S’il fallait une dernière et solide argumentation pour refuser l’intervention, Rony Brauman nous en a livré les lignes majeures.
Pendant ce temps, notre ministre des la Défense, Pieter Decrem, « l’ami américain » joue les va-t-en guerre et se voit déjà occuper les terres libyennes. Les éclaircissements issus du conseil de ministres comme du débat parlementaire à ce sujet n’apparaissent pas vraiment convaincants. On notera, en passant, que si nos dirigeants politiques sont toujours incapables d’arriver à un accord communautaire près de 300 jours après les élections, ils peuvent s’accorder dans une unanimité touchante à prendre la décision ultime, celle d’entrer en guerre…

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