« Les socialistes ne trouveront pas la solution à leurs difficultés (…) dans la seule recherche de nouvelles techniques de désignation de leur candidat, car là ne se situe pas le nœud de leur problème » affirmait récemment Lionel Jospin . [[« Lionel raconte Jospin », Seuil, Paris, 2010, p.275]] Les controverses sur les modalités d’application des primaires confirment largement le point de vue de l’ancien premier socialiste . [[ Voir « Le Monde », 24 et 15 février 2010, « Le PS espère quatre à cinq millions de votants aux primaires de 2011]] Seuil de représentativité des candidats, agenda des opérations, conflit de légitimité entre le vote des primaires et celui sur les motions au sein-même du parti : la question ne fait qu’ajouter la division à la division au sein du PS. Mais ce n’est pourtant pas le problème fondamental que pose le choix du mode de désignation du candidat socialiste à la Présidence.
On sait que les socialistes devraient faire le choix de primaires « ouvertes » : tout citoyen inscrit sur les listes électorales pourra y participer moyennent une modeste contribution (au minimum 1 € !) et une déclaration sur l’honneur affirmant adhérer aux « valeurs de la gauche ». Outre qu’on sera curieux de voir (re)définies ces « valeurs de la gauche » – voilà un beau débat « pré-primaire »-, on peut dire que ce n’est cher payé pour désigner un éventuel futur Président de la République. Selon une note interne au PS révélée par Le Monde, il serait donc espéré quatre à cinq millions de votants.[[ idem]]
Très clairement le PS a choisi la référence et le modèle italien pour l’organisation de ses primaires. Il faut rappeler que le Parti Démocratique (centre-gauche), héritier en ligne indirect du PCI a organisé des primaires de ce type en 2005, pour la désignation de Romano Prodi comme candidat premier ministre et en 2007 pour celle de Walter Veltroni à la tête du parti. Plus que le modèle américain (où les partis n’ont pas d’adhérents) ou le grec (le PASOK est largement un parti clientéliste), les socialistes français partisans des primaires ont cherché leur inspiration au- delà des Alpes. Il est vrai que les deux primaires y ont été des succès de foule : plus de 4 millions de participants pour désigner Prodi en 2005 et trois millions et demi pour choisir Veltroni deux ans plus tard. Mais cela n’a pas empêché la coalition de centre gauche et de gauche de voler en éclat après moins de deux ans de gouvernement chaotique, ni Veltroni de démissionner après son échec électoral face à Berlusconi en 2008.
Il y a des conséquences encore plus dramatiques de cette pratique des primaires. Arnaud Montebourg et Olivier Ferrand, fers de lance du processus ont notamment écrit que « le remarquable succès de la participation a crée en Italie, une vraie dynamique électorale » et « qu’elle atteste d’une volonté de participation démocratique ».[[ « Primaire – Comment sauver la gauche » Arnaud Montebourg, Olivier Ferrand, Seuil, 2009, pp 61 et 62]] La première est pour le moins discutable et la seconde fut réelle mais éphémère. Car le prix des primaires est bien la désaffection finale du parti et de l’organisation de l’action politique au profit d’une adhésion à la démocratie d’opinion. La force et l’originalité de la gauche italienne quand elle était dominée par un PCI déjà largement social-démocratisé était sa territorialisation politique et sa capillarité sociale. Aujourd’hui le triomphe de l’idéologie des primaires (avec pour corollaire, entre autres, la suprématie du lien via internet) a abouti à l’abandon du territoire. Souvent les sections du PD ne possèdent même plus de local. Une fois les primaires passées – et la défaite électorale advenue-, les électeurs se dispersent dans la nature et le plus souvent quittent le terrain. Les militants, eux, ne sont pas plus heureux, s’interrogeant sur le sens de leur engagement et de leur pouvoir de décision qui ne pèse plus guère face aux bataillons des supporters d’une seule campagne. Bien entendu, les comparaisons sont relatives et le PS n’a jamais connu l’implantation du PCI mais le processus risque bien d’être identique.
Par ailleurs, la primauté donnée à la désignation du (de la) candidate(e) ne permet pas réellement d’affronter la crise d’identité que vit le PS depuis au moins une décennie. Où sont les projets, les programmes, les valeurs primordiales qui constituent le socle et l’âme de l’action politique ? La course à la candidature encore accentuée par la pression des cohortes d’adhérents provisoires ne peut qu’individualiser un peu plus l’affrontement. Certes, convaincus ou résignés les dirigeants socialistes ont fait le choix de cette procédure dont ils doivent encore fixer les modalités. Mais s’ils ont choisi de s’inspirer du modèle italien, peut-être faudrait-il aussi qu’ils examinent de plus près l’état catastrophique du centre gauche transalpin. La faute n’en incombe certainement pas exclusivement aux primaires mais celles-ci ont été, en tous cas, incapables de le revitaliser.