Le phénomène n’est pas nouveau. A partir de la fin des années 80, de plus en plus de grandes entreprises ont fait appel à la justice pour entraver l’action des travailleurs en grève. Et c’est surtout lors de la grève générale de 2005 contre le pacte des générations, que le patronat a systématiquement organisé ce recours à la justice pour empêcher l’expression et le développement du mouvement social. Ce qui se passe aujourd’hui dans le conflit de la grande distribution n’est donc pas un fait isolé mais le résultat d’une politique délibéré. Il s’agit de judiciariser les conflits sociaux, sinon même de criminaliser l’action collective, en tous de cas de lui retirer ses moyens d’action. Ce qui revient finalement à la vider de sa substance même.
Officiellement, bien sûr, personne ne veut s’en prendre au droit de grève mais, comme on dit du côté patronal, à « ses abus ». Les piquets de grève sont alors assimilés à des « voies de fait » contre lesquels la justice est appelée à intervenir parfois même d’une manière anticipée en décrétant leur interdiction sous peine d’astreintes parfois très élevées. Il y a beaucoup à dire sur cette évolution dans la manière de traiter les conflits sociaux. Tout d’abord, elle est contraire à l’esprit de la négociation sociale dans son ensemble et à la lettre d’un accord particulier conclu en 2002 entre patronat et syndicats sur le non recours à la justice par les premiers contre le respect des dépôts de préavis par les seconds. Ensuite il s’agit d’une procédure d’urgence et d’exception, d’une procédure unilatérale qui ne permet pas aux syndicats de présenter leur point de vue. Certes, la marge d’appréciation du magistrat est large mais elle est tributaire de sa personnalité et encore davantage des rapports de force sociaux, politiques et idéologiques.
L’arrêt de travail est généralement le choix ultime. Faire grève n’est pas une vue de l’esprit, ni une simple position de principe, c’est une action collective qui s’inscrit évidemment dans un cadre conflictuel. Interdire les piquets de grève, comme imposer le service minimum dans la fonction publique, revient en fait à empêcher l’expression d’un droit essentiel qui est aussi une liberté fondamentale. L’enjeu est primordial alors que le développement de la crise financière et économique entrainera forcement de nouveaux conflits sociaux dans les temps à venir.