Il est des moments rares où le bonheur cinématographique se conjugue avec la qualité du sens qu’il produit. C’est le cas de « Terre d’usage », le film documentaire de Sophie Bruneau et de Marc Antoine Roudil que l’on peut actuellement voir en salle.
Film surprenant : à la fois état des lieux et état du monde, état de la crise, des crises, du capitalisme, de l’identité nationale, de la mondialisation. Film politique mais pas pour autant film militant en ce qu’il nous interroge profondément plutôt qu’il n’impose la vision de ses auteurs.
« Terre d’usage » est d’abord le résultat d’une rencontre entre un territoire, l’Auvergne, terre natale de Vercingétorix qui ouvre le film dans le récit de sa résistance à César, une rencontre donc entre un territoire et un autre homme du cru, un contemporain, un passeur, Pierre Juquin qui va nous conduire vers des auvergnats improbables, des hommes et des femmes qui n’ont jamais la parole et, en tous cas, que l’on ne croise jamais dans les films. Un ouvrier algérien, une religieuse, un ancien éducateur reconverti en graveur de tombe, un médecin, un chef d’entreprise qui tiennent des propos peu ordinaires : chacun avec ses mots où la simplicité côtoie la profondeur va nous livrer « son » état du monde, sa révolte, son espoir.
Pierre Juquin est un ancien dirigeant du Parti communiste français dont il a accompagné toutes les aventures, les meilleures et les pires jusqu’à en être exclu pour avoir tenté de le réformer dans les années 80. Mais surtout aujourd’hui, à plus de 80 ans, Juquin n’ a jamais renoncé à transformer le monde – la petite flamme de l’utopie vit toujours, tremblante mais résistante – et c’est sans doute pour cela qu’il est un formidable accoucheur de la parole de ses semblables. Bruneau et Roudil ont su trouver une juste écriture cinématographique qui permet l’expression d’un discours imagé et passionnant, celui d’une certaine lenteur créatrice qui bannit l’ennui et sublime la réflexion. « Terre d’usage » est, en quelque sorte, un hymne à l’intelligence collective. Et en ces moments où nous sommes tous plongés dans le désarroi de crises multiformes, – il nous offre une formidable respiration. Et comme dit Juquin, après une époustouflante leçon de marxisme au sommet des monts d’Auvergne, tant que « je respire, j’espère ».