Tant que Donald Trump n’était encore que le vainqueur des élections sans avoir mis en pratique ses promesses électorales et entamé sa guerre commerciale, la situation était idéale pour Giorgia Meloni. La Première Ministre avait d’abord reçu de Jo Biden son certificat d’atlantisme à une époque il était encore de fraiche date. Elle avait ensuite affiché son soutien sans faille et sa complète complicité idéologique avec Trump. Elle fut d’ailleurs la seule cheffe de gouvernement européen invitée à la cérémonie d’intronisation du nouvel élu à la Maison-Blanche qui n’a eu de cesse de l’ensevelir sous les compliments les plus flatteurs. Jusque-là, Meloni pouvait prétendre servir de pont entre Washington et Bruxelles même si l’exercice d’équilibre s’annonçait périlleux. « La femme qui murmure à l’oreille de Trump » comme l’ont baptisé les médias était bien en situation de jouer ce rôle d’interlocutrice privilégiée. Encore devait-elle décidée si elle jouait d’abord la carte de la défense des intérêts italiens et des relations bilatérales ou si elle voulait — et pouvait — parler, au moins informellement, au nom de l’Union Européenne. Giorgia Meloni déteste trancher ce genre de dilemme, mais elle sait aussi qu’elle ne peut renoncer à ses ambitions européennes. Depuis son arrivée au pouvoir en 2022, elle a habilement construit une relation de confiance et de proximité politique avec Ursula von der Leyen. Ce qui lui a permis notamment d’imposer à l’Union sa politique migratoire répressive et restrictive. Elle est aussi la pièce maitresse d’une majorité alternative qui associerait droite et extrême droite au Parlement européen et que les démocrates-chrétiens du PPE gardent en réserve et ont d’ailleurs déjà utilisée. Il ne s’agissait donc pas pour Meloni de mettre en péril ce qui est sans doute son projet politique le plus important.
Les enjeux de sa rencontre avec Trump, ce 17 avril, étaient donc majeurs. Tant bien que mal Meloni a réussi à ne pas compromettre ses intérêts nationaux et européens. Elle a fait des concessions annoncées et exigées par Trump : pas de taxe sur les géants du Web, achat massif de gaz américain, investissements italiens aux USA, augmentation des dépenses militaires. Elle a bien sûr insisté sur sa proximité idéologique notamment en matière de politique migratoire et d’anti-wokisme. Elle n’a obtenu en échange que la promesse d’une visite d’état du chef de la Maison-Blanche en Italie avec la perspective d’un sommet avec l’Union Européenne pour négocier les droits de douane. Sans mandat formel, elle avait blindé sa visite par de longs entretiens avec Ursula von der Lyen. Rien n’est donc compromis, mais à ce stade Meloni reste au milieu du gué.
En dehors des résultats politiques plus que mitigés de son voyage à Washington, Giorgia Meloni en a profité pour remettre en avant un concept déjà évoqué en septembre dernier lorsqu’elle avait reçu des mains d’Elon Musk un prix de l’Atlantic Council[1] : le nationalisme occidental. C’était d’ailleurs à l’occasion de cette manifestation que Meloni a entamé son rapprochement avec Trump. Dans le bureau ovale, lors de son échange avec le Président, la Première Ministre s’est posé la question — pour mieux y répondre — : « Le nationalisme occidental ? Je ne suis pas certaine que l’expression soit la mieux adaptée pour exprimer ma pensée », mais a-t-elle aussitôt ajouté : « Je parle principalement de l’Occident, mais je ne me réfère pas à un espace géographique. Je parle de civilisation et je veux la rendre plus forte ». Meloni rejoint ici les propos du vice-président Vance qu’elle avait déjà chaleureusement approuvés lors de son intervention à la Conférence de Munich.[2]
Comme le rappelle Mario Ricciardi dans Il Manifesto[3], c’est le chercheur et politiste américain Anthony J. Constantini [4] qui a mis en évidence d’une manière très positive ce « nationalisme occidental » (Western nationalism) qu’incarne aujourd’hui Giorgia Meloni. « Ce nationalisme occidental qui a pour objectif la survie et la prospérité de la civilisation occidentale, écrit Constantini, au lieu de se concentrer exclusivement sur son propre État est une nouveauté sur la scène occidentale. En tant que tel, il a la possibilité de réélaborer radicalement le fonctionnement de la politique de l’Union Européenne ». On rejoint pleinement ici le projet idéologique et stratégique de Meloni pour l’Europe.
Constantini parle de « nouveauté », mais en fait on peut trouver des traces de ce concept dans différentes branches historiques de l’extrême droite européenne[5] et notamment au MSI (Mouvement Social Italien), ce parti fondé au lendemain de la guerre par d’anciens dirigeants fascistes et où Meloni a fait toutes ses classes politiques. Au-delà de son rôle dans les relations Europe/États-Unis, le nationalisme occidental de la dirigeante des Fratelli d’Italia fera encore parler de lui.
[1] Think Tank américain spécialisé dans les relations internationales et crée en 196i pour encourager la coopération entre les États-Unis et l’Europe.
[2] Le 14 février à Munich, E.Vance s’en prend avec virulence aux dirigeants européens accusés de trahir les « valeurs occidentales » (notamment par le laxisme envers les migrants, les atteintes à la liberté d’expression et pus les atteintes aux valeurs chrétiennes)
[3] Il Manifesto 19/04/2025
[4] Dans l’influent média en ligne « Politico » (aujourd’hui aux mains d’Axel Springer) 04/09/2023
[5] Avec notamment le concept d’« Europe Nation ».