Macron, le petit père des droites

Frantisek Kupka, La Foire, 1921-1922

En 2017 Macron avait désossé la gauche socialiste en jouant tout à la fois sur la séduction, le débauchage et — celle-ci n’empêche pas les autres, la proximité idéologique du social-libéralisme. Le PS en était sorti exsangue et moribond et ne s’en est jamais relevé. À l’approche de la nouvelle échéance présidentielle, il était donc dans la logique macronienne de s’attaquer à présent à la droite dans la perspective de ce que les « marcheurs » appellent pudiquement une « recomposition politique ». Il s’agit en fait une tentative d’élimination pure et simple de la droite historique qui s’apparente plutôt à une décomposition. Débarrassé depuis belle lurette de son totem du « en même temps » — Macron s’est affirmé sans complexe « de droite et de droite » — le président a d’abord mené depuis deux ans une offensive politique destinée à couper l’herbe sous les pieds des Républicains dont il avait déjà débauché quelques supplétifs. Cela a donné un salmigondis idéologique mêlant sans hésiter sécurité, répression, laïcité, immigration, délinquance et terrorisme. Ce cocktail détonnant étant incarné au mieux par son ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin qui restera dans l’histoire de la Ve république, comme étant l’homme qui a reproché à Marine Le Pen sa « modération » vis-à-vis de l’Islam.

La stratégie macronnienne est à haut risque. Le duel avec le RN devient un duo dont les partenaires/adversaires souhaitent avant tout éliminer tout obstacle politique qui encombrerait leur affrontement complice. Car, sous prétexte de combattre l’extrême droite, Macron s’est dangereusement placé sur ses terrains de prédilections. Ce qui, à la fin, est toujours une manière de la légitimer. Et en matière sécuritaire, Macron aura beau affirmer sa vocation régalienne, sa concurrente placera toujours la barre un peu plus haut. En tous cas, le président a ouvert la boîte à pandore. Aurait-il oublié le premier tour de la présidentielle de 2002 obéré par l’obsession sécuritaire illustrée par la fameuse affaire de « Papy Voise » ? Le vieux marginal qui aurait été victime de voyous et dont le visage tuméfié était passé en boucle sur les chaînes de télévision au plus grand profit de Jean-Marie Le Pen qui avait éjecté Lionel Jospin du premier tour. Mais à l’époque, le matraquage sécuritaire en était encore à ses débuts. Aujourd’hui les chaînes d’info continue dont certaines sont le pur et simple relais de la propagande RN (notamment CNews propriété de Vincent Bolloré,[1] mais souvent aussi BMF et LCI) déversent en permanence leurs flots de nouvelles et de « débats » anxiogènes. Sans compter les chaînes (C8  mais aussi W9 [groupe M6] et autre TMC) qui diffusent d’interminables reportages sur les gros bras des polices municipales en lutte contre-la-délinquance-en-dépit-du-« laxisme judiciaire ». C’est donc sur cette vague-là que Macron a décidé, lui aussi, de surfer.

Dans l’immédiat, le président a décidé de faire des élections régionales (20 et 27 juin) un test préparatoire pour 2022. On a vécu cette semaine, l’opération « abracadabrantesque » en PACA[2] où l’annonce du soutien d’En Marche à la liste de Renaud Muselier, président LR sortant s’est soldé par un inextricable imbroglio qui se solde par un flop. Finalement  Muselier a fait marche arrière et En Marche est contraint de présenter sa propre liste…et de se compter. La droite a certes été dynamitée. Les maires emblématiques de Toulon et Nice, Hubert Falco et Christian Estrosi ont claqué la porte de LR mais la macronie ne s’en sort guère mieux. L’opération reste boiteuse. L’offensive n’en est  cependant qu’à ses débuts puisqu’on évoque l’arrivée du soldat Dupont-Moretti comme tête de liste des marcheurs en Hauts-de-France pour affronter et affaiblir Xavier Bertrand, potentiel rival de Macron aux présidentielles. Le « nouveau monde »adopte avec délectation les combines de l’ancien. Et pendant ce temps, le RN récolte les fruits du désarroi des électeurs de droite.

Le choix stratégique du président semble à très courte vue, en fait celle du premier tour du scrutin de 2022. Macron veut éliminer la droite traditionnelle[3] et capter ses électeurs pour faire le plein de voix lors de la première épreuve. En cas d’affrontement probable avec Marine Le Pen au second tour, comment fera-t-il ensuite pour trouver les suffrages de gauche qui lui seront indispensables et qui avaient assuré son succès en 2017 ? Au nom de la simple équation « Moi ou Le Pen » ? Cela ne fonctionnera plus. Cette fois Macron a un bilan largement négatif vu de gauche et surtout son positionnement actuel l’empêche désormais d’apparaître comme un barrage crédible à l’extrême-droite. Une partie importante de l’électorat de gauche sera tentée par l’abstention. Malgré les pirouettes de l’entre-deux tours qui ne manqueront pas. On n’en est pas encore là. Mais aujourd’hui — et si rien ne change — Emmanuel Macron risque bien d’être celui qui aura offert le pouvoir à Marine Le Pen.

 

 

[1] Dans un article éclairant du Monde de ce 7 mai, Ariane Chemin raconte comment Matignon et l’Elysée ont « invité  et ménagé » Pascal Praud, l’animateur de débat sur CNews, qui véhicule tous les stéréotypes de l’extrême-droite. Sans oublier l’omniprésence sur cette chaine d’Eric Zemmour qui y étale ses discours de haine raciste.

[2] Région Provence-Alpes-Côte d’Azur

[3] La gauche s’éliminant toute seule. On y reviendra prochainement.

Ce contenu a été publié dans Blog. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

5 réponses à Macron, le petit père des droites

  1. Michel Bossut dit :

    Cher Hugues,

    Merci de ta subtile et utile analyse.

    Et merci pour ce touchant bel exemple de solidarité à Naples.

    Amitiés

  2. Tay dit :

    Le chantage à l’extrême droite (moi où Lepen) comme unique arme électorale a marché deux fois. Il ne marchera pas une troisième fois. On peut flouer l’électorat de gauche une fois, on peut flouer l’électorat de droite deux fois mais on ne peut flouer tout l’électorat tout le temps. Comme c’est parti, la France risque de basculer vers un régime de droite extrême comme il y’en a déjà de plus en plus en Europe.

  3. Guillebaud dit :

    Excellente analyse cher Hugues ! Je te retrouve bien dans ces lignes, et c’est avec bonheur. Amitiés.
    Jc Guillebaud

    1. Hugues Le Paige dit :

      Merci Cher Jean Claude, aussi pour ton papier dans Sud Ouest à propos de la laïcité et de Jean Bauberot.

Les commentaires sont fermés.