Macron : la reconnaissance de l’extrême-droite

En une semaine Emmanuel Macron a réussi l’exploit de recevoir — et de mériter — par deux fois les hommages et les remerciements du Rassemblement National. Tout d’abord le 24 mai, lors du Conseil des ministres où mêlant des événements violents et des faits divers tragiques sans rapport les uns avec les autres, il a évoqué la nécessité « de travailler en profondeur pour contrer ce processus de décivilisation »[1]. Le concept est cher au RN. L’écrivain d’extrême-droite Renaud Camus, l’homme du fantasmatique « grand remplacement » en avait fait le titre de l’un de ses ouvrages en 2011. Marine Le Pen a donc pu affirmer, sans être vraiment contredite, que Macron venait, « une fois de plus de nous donner raison sur le constat que nous faisons ».

Une semaine plus tard, le 31 mai lors du Conseil suivant, le président offrait à Marine Le Pen un nouveau sujet de satisfaction en recadrant avec virulence sa Première ministre, Élisabeth Borne qui avait déclaré que le RN était « l’héritier de Pétain ». Pour Macron, il faut en finir avec les « attaques des années 90 contre le RN » et ne plus utiliser à son encontre des arguments « historiques et moraux » pour préférer des « éléments concrets » pour le combattre.

L’ambigüité de Macron à l’égard de l’extrême-droite ne date pas d’hier. Le champion du « en même temps », thème aujourd’hui oublié, a toujours été aussi celui de la triangulation politique, une pratique qui consiste à s’emparer du vocabulaire et des concepts de l’adversaire/concurrent pour aspirer une partie de son électorat. Macron l’a fait avec la gauche, la droite et l’extrême droite. La triangulation est sans doute la forme la plus politicienne de l’action publique et celle qui dévalorise fortement le sens même de la politique. Mais surtout elle a pour effet de crédibiliser l’adversaire et de lui accorder une reconnaissance politique. C’est évidemment un jeu particulièrement dangereux qui a pour seul moteur la volonté de gagner ou de se maintenir au pouvoir.

Macron est coutumier du fait, en particulier dans sa relation à l’extrême droite. Il a l’habitude de contourner les difficultés politiques en mettant en avant les questions de sécurité et d’immigration qu’à l’instar du RN, il mêle alors allègrement. C’est vrai aujourd’hui face à sa difficulté de sortir de la question des retraites. Mais il a des antécédents. En 2019, il confie la primeur de son programme (anti) immigration à la publication de la droite extrême « Valeurs actuelles ». À cette occasion, et à propos de manifestations antiracistes, il dénonce dans ces colonnes un « tiers-mondisme non aligné aux relents marxistes ». Le Pen n’aurait pas dit mieux. En 2021, il fait voter la loi sur le séparatisme qui sous prétexte de défendre la laïcité stigmatise l’Islam et se transforme en instrument de répression à l’égard d’une communauté. Cette fois il reçoit aussi le satisfecit d’Éric Zemour qui le félicite pour « une loi tout à fait positive ». Entre deux initiatives du genre, Gérald Darmanin entretient le « feu » du régalien en associant en permanence sécurité, répression, laïcité, immigration, délinquance et terrorisme. Le ministre de l’Intérieur ose tout. Lors d’un débat télévisé, il ira jusqu’à reprocher à Marine Le Pen sa « modération vis-à-vis de l’Islam », ce qui valut, à lui aussi, les félicitations de Zemour. Chien de garde du macronisme, il roule aujourd’hui pour son propre compte, mais entretient toujours un climat dont le président semble se féliciter. Ce n’est en tous cas pas le ministre de l’Intérieur qu’il pense devoir « recadrer ».

S’il n’hésite pas à marcher sur les plates-bandes du RN, Macron n’est évidemment pas confondable avec l’extrême-droite. Mais à force de l’instrumentaliser, non seulement il cultive l’ambiguïté sur ses propres valeurs, mais il fait preuve d’un cynisme politique absolu qui oublie, en passant, qu’il doit sa réélection aux électrices et aux électeurs qui voulaient faire barrage à Marine Le Pen. Sa tactique politique à courte vue peut ouvrir la porte du pouvoir au RN. Cela risque bien d’être la seule trace — tragique — qu’il laissera dans l’histoire de la République.

[1] Le Monde du 27 mai 2023 fait le récit à la fois cocasse et inquiétant du « déjeuner des sociologues ». Quelques chercheurs « amis » tentent de faire vainement comprendre au président la profondeur du fossé qui le sépare des citoyennes et citoyens. Mais c’est bien un de ces « visiteurs du midi » (le sondeur Jérôme Fourquet) qui — curieusement — évoquera le concept de « décivilisation » dont s’emparera Emmanuel Macron, négligeant tous les autres avertissements.

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7 réponses à Macron : la reconnaissance de l’extrême-droite

  1. meekel dit :

    hélas…avec ton autorisation, je relaie sur le blog de la revue….

    1. Hugues Le Paige dit :

      Bien sûr

  2. Cher Hugues, je ne réagis pas assez souvent à tes analyses toujours aussi pertinentes. Cela fait tellement de bien de lire tes propos justes et clairs. Merci ! Amicalement. Catherine

  3. Vander Heyden Jean Louis dit :

    Analyse magistrale. Merci Hugues

  4. Marcel Leurin dit :

    La rigueur de ton analyse est absolument magistrale… chaque brique est à sa place : c’est à la fois historique et descriptif !
    MERCI ET BRAVO !!

  5. mario caciagli dit :

    Bene, Hugues. Non si può dire meglio. Brutti tempi!

  6. Lejeune Charles dit :

    Je partage totalement ton analyse. Le champion de l' »en même temps » et de la politique disruptive est avant tout le chantre arrogant d’une droite de plus en plus réactionnaire.

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