Retour sur l’après-élection et ses suites
Il y a eu des moments difficiles. Des doutes, des frustrations, des récriminations. Il n’y a pas à tergiverser : pour une partie des électeurs du PTB — impossible à quantifier —, la rupture des négociations avec le PS et Ecolo en Wallonie a laissé un goût amer. Mais elle a aussi — et peut-être surtout — déçu les électeurs de gauche du PS et d’Ecolo qui sur les réseaux sociaux notamment ont sans doute été les plus nombreux à exprimer leurs critiques parfois virulentes à l’égard du PTB. À Bruxelles, la question ne se posait pas puisqu’un accord préélectoral PS-Ecolo-Défi était ficelé depuis belle lurette et que le PTB ne fut même pas invité à la table des négociations. En Wallonie, une majorité de gauche (ou progressiste) était mathématiquement possible. Logiquement elle suscitait des espoirs. Et pourtant avant même que les discussions ne débutent, on pouvait se douter qu’elles ne pourraient aboutir. Personnellement, bien avant le scrutin, j’avais indiqué les raisons pour lesquelles la participation du PTB à une majorité me semblait peu probable sinon impossible[1]. Et j’ai déjà tiré un premier bilan de l’échec de ces négociations dans le Blog-Notes[2].
La raison principale de cet échec se trouve sans doute dans le refus de la part du PS d’une rupture claire avec les politiques sociales libérales menées depuis trente ans et dans son obstination à ne pas s’écarter du carcan budgétaire européen (ce qui est aussi valable pour Ecolo). Depuis l’échec des négociations, un événement a jeté une lumière particulière sur l’attitude socialiste. Pendant que, dans les discussions, le PTB réclamait une politique publique de l’énergie et que le PS acquiesçait mollement sur le principe, Nethys préparait la privatisation discrète d’Elicio, le fleuron de l’énergie renouvelable en Belgique, au profit personnel de certains de ses administrateurs. Le tout avec la bénédiction de certains au PS et au MR. La concomitance des deux événements indique l’impossibilité, dans les circonstances actuelles, de conclure un accord de majorité avec un tel PS. Certes, depuis lors le PS a brusquement retrouvé le chemin de la vertu. Deux ans et demi après le rapport Publifin, Elio Di Rupo consent enfin à faire le ménage dans l’intercommunale comme au sein de la fédération liégeoise du PS. Mais reste la question fondamentale de la privatisation de VOO et d’Elicio à laquelle seul le PTB s’était opposé jusqu’il y a peu. Les choses semblent bouger notamment du côté Ecolo mais non sans ambiguïté sur le statut à offrir à ces filiales.
Pour en revenir à l’échec des négociations post électorales, la question de la réaction des électeurs, sympathisants et membres du PTB demeurait une inconnue. Trois éléments, tous imprécis et susceptibles d’interprétations plus ou moins impressionnistes, donnent de premières indications. Il y a d’abord eu les réactions sur les réseaux sociaux (déjà évoquées dans un Blog-Notes précédent) qui exprimaient critiques, doutes ou simples questions. Apparemment, Il s’agissait surtout de femmes et d’hommes qui avaient voté pour la première fois pour le parti marxiste et qui estimaient qu’une majorité arithmétique pourrait déjà faire avancer une alternative sans tenir compte de tous les éléments politiques contraignants ou paralysants (rapports de force, conflit entre niveaux de pouvoir, véritable volonté de rupture du partenaire, etc.). Des divergences s’exprimaient aussi sur la tactique : « il fallait au moins essayer et quitter la majorité en cas de blocage ». Ou il fallait faire la preuve de sa volonté « de se mouiller », etc. Les questions politiques de fond étaient subordonnées à l’espoir souvent mythique d’une unité de la gauche qui reste fortement ancrée notamment dans des milieux intellectuels ou syndicaux. Avec tous les aléas liés au mode de diffusion des réseaux sociaux, il faut prendre en considération ces questionnements critiques.
Autre interprétation impressionniste : les débats qui ont eu lieu à Manifiesta, la fête du PTB les 21 et 22 septembre dernier. Là aussi, les mêmes questions ont été posées… et les mêmes réponses apportées. Elles ont, en tous cas, semblé satisfaire les interpellateurs. Certes, celles et ceux qui se déplacent à Bredene ont un préjugé favorable, mais il n’empêche que les questions n’étaient pas posées pour la forme : elles ont traversé le parti et ses proches. Bien entendu, certain. e. s me rétorqueront que dans leur milieu les critiques ont été acerbes et la déception forte. Les deux cas de figure ne sont pas exclusifs et le PTB devra en tenir compte.
Reste le sondage du Soir-RTL-Ipsos[3] qui est une première tentative de mesure des effets du refus du PTB de monter dans la majorité wallonne. Le « Grand baromètre » donne deux indications. À la question « Le PTB a-t-il eu raison de s’exclure du prochain gouvernement wallon ? » : 45 % répondent « non », 36 % « oui » et 19 % ne sont pas intéressés. Un résultat qui est loin d’être catastrophique pour le PTB. D’ailleurs, la sanction ne semble pas avoir suivi puisque dans le même sondage, le PTB progresse encore en Wallonie par rapport à son excellent résultat du 26 mai (de 13,8 à 15,5 %). Courte progression en Flandre de 5, 6 à 6,2 %. À Bruxelles, par contre, il connaît un léger tassement de 12,3 à 11 %. Pour l’instant donc, l’électorat du PTB ne semble pas lui tenir rigueur de ses choix. Bien sûr, cela reste à confirmer. Mais il est probable qu’avec le temps, seul parti d’opposition à gauche en Wallonie, il bénéficiera du mécontentement que la politique de la nouvelle majorité ne manquera pas de susciter. Il n’empêche, pour l’avenir, le PTB devra répondre d’une manière plus articulée à son rapport au pouvoir. Une des critiques récurrentes adressées à la formation de la gauche radicale est qu’elle a voulu privilégier le parti au détriment de la gauche dans son ensemble. C’est discutable, mais on peut considérer le PTB a eu raison de choisir cette option étant donné les conditions qui lui étaient imposées par son potentiel partenaire. L’ampleur et la rapidité du succès ont pour effet paradoxal, s’il n’y prend garde, de le mettre dans une situation de fragilité. L’afflux de membres — et d’élus — peu ou pas formés, la nécessité de trouver aujourd’hui des femmes et des hommes pour remplir les fonctions et assumer les mandats que génère le succès électoral (des intercommunales à la RTBF et Enodia en passant par les sociétés de logement social) est déjà un énorme défi. Les adversaires et les « amis » bien intentionnés — sans oublier les médias — attendent et exploiteront la moindre erreur. On a déjà vu la surmédiatisation qui s’est développée lors du départ de quelques élu. e. s de fraîche date. En cette période de croissance rapide, tous les inévitables faux pas dus à l’inexpérience seront montés en épingle.
Il n’en demeure pas moins que la question du pouvoir doit être affrontée. Et que dans l’avenir, il est probable qu’elle se posera avec encore plus d’acuité. Dans le dernier numéro de Politique[4], Marc Jacquemain a bien cerné la question : « Le PTB a devant lui une législature pour articuler le lointain (la perspective d’une sortie du système) et le proche (un programme politique pour un gouvernement de gauche, qui doit décider ici et maintenant). Il a une législature, poursuit le sociologue de l’ULG, pour se construire un noyau de cadres et affiner sa stratégie d’articulation entre soutien aux protestations populaires et combat électoral. »
On peut penser que cette dernière liaison sera précisément déterminante dans la décision du PTB de tenter un jour l’expérience de la participation au pouvoir. Le parti de la gauche radicale insiste dans toute sa communication sur la relation inséparable entre « la rue » et « le parlement ». Une participation à une majorité suppose un rapport de force parlementaire suffisant, mais aussi l’existence d’un mouvement social puissant capable de peser, lui aussi, sur la politique à mener. Il y a, là, la volonté du PTB de ne pas nourrir les illusions — très répandues — qu’il suffit « d’une majorité de gauche » pour changer le monde. L’histoire a montré que les grandes conquêtes de la gauche ne pouvaient se réaliser que par la conjonction d’une forte mobilisation sociale et d’une victoire électorale dont elle est le fruit. Il ne s’agit naturellement pas d’attendre une impossible majorité absolue, mais de cerner les conditions réalistes d’un véritable bouleversement des règles sociales, écologiques et économiques. On en est loin aujourd’hui et la réalisation de cette conjonction politique dépend d’éléments aussi divers qu’imprévisibles. Il faudra donc aussi que le PTB imagine des scénarios intermédiaires qui permettent d’engranger des succès limités et surtout d’éviter le découragement ou la lassitude de ses soutiens.
L’avenir d’une majorité de gauche en Wallonie ne dépend évidemment pas que du PTB. L’évolution de ses partenaires potentiels sera aussi déterminante, mais cette majorité ne pourra voir le jour qu’avec un PTB non seulement encore renforcé sur le plan électoral comme sur celui de son organisation et de ses cadres, mais aussi en mesure de susciter et de s’appuyer sur la dynamique d’un mouvement social. Tout le reste risque de n’être que désillusion.
[1] https://www.revuepolitique.be/blog-notes/du-vote-utile-et-du-principe-de-precaution-en-politique/
[2] https://www.revuepolitique.be/blog-notes/ps-ecolo-ptb-guerre-de-positionnement/
[3] Le Soir des 14-15, 16 et 17 septembre 2019
[4] PTB en Wallonie : la règle ou le siècle ? Marc Jacquemain, Politique n° 109, septembre 2019
Analyses, interprétations, explications,…
Le véritable changement se traduit dans les actes.
La déception est immense et engendre une frustration incommensurable pour tous ceux qui ont cru en une alliance des gauches.
On a loupé le coche et ma crainte est que le capitalisme, le néolibéralisme, et l’extrême-droite vont surfer sur cette vague et gonfler leurs rangs.
QUEL GÂCHIS !!!