Les réseaux sociaux se déchaînent et se délectent de la dernière polémique sur la photo de Peter Mertens et de Tom Van Grieken qui illustre l’interview croisée des présidents du PTB-PVDA et du VB parue dans « De Zondag »[1]. Accusation de complaisance à l’égard du Vlaams Belang, déformation des propos tenus, amalgame entre « les extrêmes » : toute la panoplie des haines recuites a pu s’exprimer pour l’occasion. Les habituels conptempteurs atrabilaires du PTB s’en s’ont donné à cœur joie. Des médias traditionnels ne sont pas en reste dans l’exploitation de l’événement. Le Soir[2] en particulier a publié un édito intitulé « La photo qui tue » et qui en dit long sur son positionnement idéologique. Moins à travers le commentaire de la photo elle-même que sur la liaison que fait l’éditorialiste-en-chef entre la dénonciation du comportement médiatique du PTB et l’aval qu’elle semble offrir aux déclarations de Jean Claude Juncker (interrogé par ailleurs dans le quotidien) qui propose, dit-elle, « une autre piste que ce dialogue direct » (avec l’extrême-droite). Béatrice Delvaux semble prendre à son compte les propos de l’ancien président de la Commission qui « veut mettre les États membres devant leurs responsabilités » et refuse notamment que l’Europe et « sa » Commission portent le chapeau du désenchantement et de la colère des peuples »[3] et qui invite, écrit-elle, « les partisans du projet belge à un sursaut ». « La Balle est dans notre camp » conclut-elle. C’est le rapprochement entre la leçon faite au PTB et la promotion des propos de Juncker qui frappe dans ces lignes.
Sur la polémique de la photo, on peut dire simplement que toute image est aujourd’hui un piège potentiel qui ne traduit pas nécessairement la réalité des comportements mis en cause. Je me permets, ici, de rappeler une démarche personnelle. Je traite de cette question depuis des décennies à travers des articles, des livres et des films. J’ai, il y a deux ans, été à l’origine, dans un contexte tout différent, d’une autre « polémique photographique » (avec un autre déchaînement de haine) sur laquelle, je ne reviendrai pas, tout en précisant que je n’en retire pas un mot.
Outre qu’elle travestit la réalité, le plus regrettable est que la photo aujourd’hui incriminée, « cache la forêt » en l’occurrence le contenu de l’entretien. Il faut lire les propos de Peter Mertens dans De Zondag.[4] Ils sont d’une virulence (raisonnée et argumentée) vis-à-vis de l’extrême-droite et de son interlocuteur telle qu’on ne l’a jamais lue dans les médias traditionnels. On peut être en désaccord avec la nécessité de débattre avec l’extrême droite, mais on ne peut nier que, dans les propos du président du PTB, le refus de toute connivence (que cherche pitoyablement le président du VB) et la dénonciation de l’extrême-droite sont exemplaires. On peut ajouter que depuis trente ans le « cordon sanitaire » a fait la preuve de son impuissance. C’est vrai pour la montée de l’extrême-droite dans toute l’Europe. Sur le plan médiatique, il est devenu aussi aberrant qu’impossible, particulièrement quand l’extrême droite est en passe d’imposer son hégémonie dans une région ou une communauté. Refuser de la combattre de front — et donc dans la confrontation directe et sans concession — serait lui abandonner le terrain.
PS Comme d’habitude, je refuse toute polémique sur les réseaux sociaux, mais le débat argumenté et respectueux est ouvert sur ce site.
[1] 22/12/2019
[2] Le Soir du 23/12/2019
[3] Au même moment, un article du FInancial Time ( pas vraiment gauchiste) met précisément en cause l’austérité européenne par rapport à la montée de l’extrême-droite : https://www.ft.com/content/be3ca48a-2344-11ea-b8a1-584213ee7b2b
[4] Voir une traduction française : https://www.facebook.com/notes/charlie-le-paige/ce-quil-y-avait-vraiment-dans-linterview-entre-peter-mertens-et-tom-van-grieken/3372743239433823/
Bien sûr, beaucoup ont vu dans cette photo la démonstration de leurs raccourcis, sans lire l’interview, sans lire les programmes. Osons le dire: le PTB n’est pas l’extrême-gauche. Il est la gauche d’une gauche inexistante qui a vendu son âme. Et il ne partage en rien le racisme du Vlaams Belang. Il n’y a rien de commun entre un idéal de solidarité et une doctrine du rejet.
Quant aux propos de l’ex-président de la Commission, osons-le dire aussi: si pas le bonheur, du moins le bien-être du peuple est la raison d’être du pouvoir politique. Juncker raconte n’importe quoi et il est à présent question de lui trouver un statut de para-commissaire bien rémunéré pour l’empêcher d’aller se répandre…
Le progrès social, l’élimination des barrières qui divisent, l’amélioration des conditions de vie, la solidarité avec les pays d’outre-mer et leur prospérité,… Tels étaient les idéaux proclamés du traité de Rome dans son préambule bien oublié aujourd’hui. Commerce, profit, privatisations sauvages, refus d’assistance aux migrants, barbelés: voilà l’Europe d’aujourd’hui à laquelle M. Juncker a prêté son concours zélé en offrant des accolades pitoyables à certains potentats indignes.
Il y avait une certaine idée de bonheur universel, une sorte d’âme, dans la construction européenne qui s’est effacée au profit d’un eurocentrisme sans autre âme ni moteur que les marchés. Jacques Delors, très vénéré, n’a rien fait d’autre que le lit des marchés: un marché unique et une monnaie unique, et beaucoup de beaux discours auto-satisfaits. Oui, la politique visait une certaine forme de bonheur. Oui, la politique européenne démissionnaire et soumise depuis les années 80 est désormais source de souffrance, d’injustice, d’inégalités accrues, mais telle n’est pas sa vocation. Tel est son échec. Et telle est la raison d’être des partis réellement de gauche.
Cher Hugues, je suis tout à fait d’accord sur la partie « forêt » de ton billet (ce qui concerne le contenu de l’interview), ainsi que sur l’hypocrisie flagrante de certaines indignations (comme si c’était Peter Mertens qui aujourd’hui rompait le « cordon sanitaire », scrupuleusement respecté par les autres partis flamands…)
Mais ce qui me désole, c’est l’apparente incapacité de celles et ceux qui défendent le PTB-PvdA d’admettre que cette photo est une erreur grossière en termes de communication – moi aussi, j’ai d’abord avalé de travers en la voyant. Il ne s’agit pas seulement de Mertens et Van Grieken côte à côte, mais aussi leur posture ou le cadre bucolique. Tant de gens auront vu cette couverture sans lire l’interview (forcément, De Zondag traîne dans plein de commerces, on y jette un oeil en faisant la file…) Alors c’est possible que Mertens n’ait pas eu le choix, mais alors il faut le dire.
C’est bien de vouloir débattre plutôt de la « forêt », mais il n’empêche que l’arbre qui la cache est bien là, et qu’il est gros et envahissant comme… un bâton qu’on offre pour se faire battre.
Chère Irène, nous sommes d’accord sur l’essentiel et aussi sur le fait que cette photo est dommageable pour le PTB et qu’il faut le dire. Cela dit, je ne parlerais pas « d’erreur de communication » dans la mesure où elle n’a pas été voulue par Mertens. Dans l’interview, lorsque le journaliste veut leur offrir un verre, Mertens refuse et dit explicitement à Van Grieken : « je ne veux rien partager avec vous ». A la lecture du texte, on voit que son ton est en permanence agressif et j’imagine que son regard est à cette image. Mon interprétation personnelle est que le photographe a profité d’un moment souriant ( il y en a toujours un, ne fusse qu’à l’égard du journaliste) et que, oui, dans ce sens, il a été piégé. Car l’intention du journal était bien de trouver une image de connivence. C’était sans doute effectivement le prix à payer pour avoir cette confrontation que je trouve, personnellement, importante et utile. D’autant que contrairement au PTB, en Flandre le PVDA a très peu accès aux méfias traditionnels. Doit-il pour autant dénoncer la manœuvre ? Question de stratégie médiatique…
Irène, la photo qui a fait réagir n’est en fait… pas celle de la couverture papier. Et il y a de la nuance entre ces deux photos : aucun des deux ne sourit, et un texte au-dessus de la binette de chacun est ajouté, reflétant leur opposition.
Tu peux voir ici la couverture papier : http://makr.roularta.be/3DI/DZ/index2.jsp?editie=106
Billet pertinent, hors réaction d’hypertrophie langagière propice à susciter la scandalite tripiere et peu l’analyse et la réflexion…
bien sûr qu’ « on » est/était et sera encore toujours piégé… comme récemment
– quand « on » se met à débattre du confédéralisme à la Fondation Universitaire
– quand « on » discute du concept « identité » ou « canon d’une culture d’un peuple » sans utiliser tout simplement le mot « race » comme autrefois. Plus simple tout de même!
– etc., etc.
Wie zijn gat verbrandt moet op de blaren zitten.
Le problème de la gauche de la gauche (celle qui a vendu son âme comme on dit…) c’est qu’elle refuse de prendre ses responsabilités lorsqu’elle a accès au pouvoir. Alors que faut-il faire ?? La gauche de la gauche anglaise (Jeremy Corbyn) a hélas perdu durement les élections de ce décembre. Alors que faire ?? Dans un monde politique sous domination libérale ?? Expliquez-moi. Vraiment. Je suis preneuse de toute solution démocratique et sociale. Et de surcroît dans un régime parlementaire à la proportionnelle. Quid???
Merci et félicitation cher Hugues pour tes articles et mes tous bons voeux pour 2020.
Michel
Compte tenu de la part d’électorat de gauche que capte le VB (comme c’est le cas en France et ailleurs), il est logique que le PTB/PVDA cherche à les convaincre de rentrer « à la maison » en affrontant son homologue du VB au grand jour. Le PS et SP.A seraient bien inspirés d’en faire autant et de relever le gant de l’hégémonie culturelle…
On dit que ce type de débat est risqué, qu’il est de nature à banaliser les idées de l’extrême droite, voire de les populariser? C’était le cas. Ce ne l’est plus, tant ses idées ont percolé. Et même si un risque demeure, que pèse-t-il en regard des dangers et périls déjà bien présent? Oser défier le VB de la sorte est peut-être même un moyen de se rapprocher de citoyens-électeurs devenus « éloignés », distants, méfiants et défiants à l’égard du politique. Les raisons de la défiance sont nombreuses…
Mais l’une d’elles est sans doute le sentiment que la difficulté contemporaine de la vie pour beaucoup de gens n’est pas assez prise en compte, que les raisons d’être de cette difficulté découlant des politiques économiques à l’œuvre ne sont que trop peu questionnées. Comme c’est le cas dans cette interview-testament complaisante de JC Juncker à qui aucune question n’est posée quant au fond ordolibéral des politiques européennes.
Mais ça, ce n’est pas nouveau dans les pages Politique du Soir. Restent, fort heureusement, les pages Économie qui gagnent, elles, à être lues.
Ici, dès lors, ce n’est pas la photo « qui tue », comme l’affirme BDx en croyant se mettre debout, c’est le régime éditorial de connivence entretenu avec les politiques économiques européennes basées sur le libre-échange intégral et sur la dérégulation poussée des marchés de la finance, de l’économie et de l’emploi.
Je me permets de réagir aux commentaires qui me paraissent très intéressants mais qui n’apportent pas mon sens ne fusse qu’une ébauche ou tentative d’explication aux montées des extrêmes quelles qu’elles soient….je reste persuadée que les partis traditionnels sont grandement responsables de cette situation….ils doivent se remettre en question…accepter de rationaliser cette multitude d’institutions qui nous coûtent…le nombre de ministres qui se marchent sur les pieds….et oui accepter de revoir notre constitution qui ne répond plus à la conception de vivre ensemble d’une partie du pays….pourquoi ne pas créer un parti plus ouvert multi-forme….de conception fédérale sans copier Macron on a besoin de croire à nouveau à un mouvement géré par de nouvelles personnes ayant un but visant réellement le sauvetage de notre pays…