Il ne le lâche plus : à la tribune d’un meeting à Milan ou sur le plateau de « Porta a Porta » l’insubmersible émission de la Rai, sous le regard bienveillant de son animateur,[1] Matteo Salvini a toujours son rosaire à la main. Il embrasse le crucifix, il invoque la Madone « qui nous donnera la victoire ». La presse catholique s’est indignée, le cardinal Parolin, secrétaire d’État, s’est ému de « l’abus des symboles religieux ». Salvini, qui, dans ses meetings, fait siffler un pape jugé trop progressiste, n’en a cure. Il ajoute aussitôt que les Italiens sont intelligents qu’ils votent avec leur tête, pas avec les sentiments et que sa référence à la religion ressort du « bon sens » quand on veut s’inscrire dans les valeurs occidentales de l’Europe chrétienne. Le « bon sens » est le mot d’ordre récurrent du leader de la Lega qui l’accommode à toutes sauces : les Italiens ne sont pas « racistes » — et encore moins La Lega — ils font simplement preuve de « bon sens » en rejetant ceux qui « envahissent » la péninsule et « abusent » de son hospitalité.
Tout est à l’avenant et les sentiments, ou plus précisément le ressentiment et la peur ou la haine alimentent en permanence le discours du « bon sens salvinien ». Même s’il compte 3 millions d’« amis » sur son compte Facebook qu’il nourrit en permanence, Salvini n’est pas seulement — comme la plupart des dirigeants des Cinque Stelle — un homme des réseaux sociaux. Avec la Lega qu’il a transformée en quelques années de parti régionaliste et autonomiste en parti national d’extrême — droite, Salvini pratique la politique du territoire, comme seul le faisait d’antan le PCI. Les sections vivent, les administrations locales sont gérées, les militants sont sur le terrain à l’écoute des plaintes et des souhaits de la population. Et le ministre de l’Intérieur est sans doute un des derniers orateurs de la classe politique italienne. Il a fabriqué les armes qui lui ont permis d’obtenir 34,3 % lors du scrutin européen de ce 26 mai, écrasant le M5S son partenaire gouvernemental relégué à 17 %. Après un an de gouvernement dont il est aujourd’hui le maitre absolu, Salvini a inversé le rapport de force au sein de la coalition. Et surtout il a quintuplé son résultat par rapport aux européennes de 2014. Aux élections régionales et administratives partielles qui accompagnaient les européennes, il confirme largement ce succès. Il arrache le Piémont au centre gauche, gouvernant désormais tout le Nord de l’Italie, il devient le premier parti dans les anciennes régions rouges d’Émilie Romagne et d’Ombrie. Seule la Toscane résiste encore mais pour combien de temps : la Lega n’est plus qu’à 2 points du PD (centre gauche).
Les succès de la Lega ne se comptent plus dans le Sud, y compris dans les lieux hautement symboliques. À Riace, en Calabre, là où le maire, Mimmo Lucano avait fait de sa ville l’emblème de l’accueil des migrants, c’est une liste proche de la Lega qui triomphe avec plus de 40 % des suffrages. Même scénario à Lampedusa où la liste conduite par le médecin des migrants est battue par la Lega. Salvini a transformé avec succès la frustration des Italiens abandonnés par l’Union Européenne face aux flux migratoires en peur et en repli. L’hégémonie de la Lega est totale : politique et culturelle. Elle impose les thèmes, l’agenda et les règles du jeu. Bien sûr elle n’est pas née en quelques années. Vingt ans de berlusconisme ont largement préparé le terrain : l’exaltation de l’individualisme à tout prix, la destruction du collectif et des corps intermédiaires ont été le terreau fertile pour l’extrême droite et le populisme identitaire. Il y a continuité entre « berlusconisme » et « salvinisme ». D’autant que la gauche, sous toutes ses formes, de la plus modérée à la plus radicale, a disparu de l’échiquier politique. Certes le nouveau secrétaire du PD a sauvé les meubles en obtenant 22,07 % et en récupérant des voix venues des scissions de gauche ou d’électeurs de gauche qui avaient été un temps séduits par les Cinque Stelle. Mais il s’agit plus d’une défaite de ces derniers que d’une victoire du PD qui s’était associé avec les libéraux de l’ancien ministre « renzien », Calenda. Centre, centre gauche, gauche modérée ? L’horizon et le projet du PD restent incertains et, comme on l’a vu, le contexte politique et électoral hautement favorable à l’extrême-droite.
Matteo Salvini va maintenant encaisser les dividendes de son succès. Il a définitivement marginalisé ses alliés. Di Maio et les Cinque Stelle se sont constamment placés en position subalterne et se sont soumis à la ligne Salvini, préparant ainsi leur propre défaite. En dépit du nouveau rapport de force, le chef de la Lega ne demande pas de nouveaux ministres, mais il exige d’un partenaire aux abois l’application de ses priorités, dont la réforme fiscale (flat tax à 15 %), l’autonomie fiscale (qui entrainera de nouvelles disparités Nord/Sud) et la reprise du chantier du TGV Lyon/Turin (casus belli pour le M5S). Faute de quoi il provoquera de nouvelles élections législatives. Salvini a toutes les cartes en mains, du moins sur le plan national. Au niveau européen, c’est une autre histoire. On y reviendra.
[1] Depuis 1995, Bruno Vespa, le journaliste « inoxydable » (comme on disait de Giulio Andreotti l’éternel ministre démocrate-chrétien), fait des ronds de jambe aux dirigeants qui se sont succédé au pouvoir depuis 30 ans, avec, il est vrai, une affection particulière pour Silvio Berlusconi qu’il servit plus que tout autre.
Merci cher Hugues pour tes excellents blogs.
Ça m énerve ttes ses allusions aux valeurs occidentales chrétiennes…d abord le christianisme vient d orient…et le 1er message du Christ : aimez vous les uns les autres…n en déplaise aux imbéciles Jésus etait….palestinien…