Italie : les (petits) soucis de Meloni

Pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir (en octobre 2022), Giorgia Meloni vit des temps difficiles. Il y a d’abord eu le rappel à l’ordre — fait rarissime — du président de la République à propos de violences policières. Le 23 février, alors que des étudiants pacifiques manifestaient à Pise et à Florence en solidarité avec le peuple palestinien, la police a multiplié les actes de violence que tous les observateurs ont jugé injustifiés et inexplicables. Dans un premier temps la Cheffe du gouvernement est restée silencieuse tandis que son parti, les Fratelli d’Italia, prenait la défense des forces de l’ordre. Sortant de sa réserve proverbiale, le Président de la République a appelé le ministre de l’Intérieur, Matteo Piantedosi (La Lega), pour lui rappeler que « l’autorité des forces de l’ordre ne se mesure pas à l’aune des matraques, mais à leur capacité à assurer la sécurité tout en protégeant la liberté d’exprimer publiquement ses opinions » et d’ajouter : « Avec les jeunes, les matraques sont l’expression d’un échec ».                                                                                                                                                                    Le ministre a fait amende honorable. On aurait pu en rester là si Giorgia Meloni n’avait choisi de polémiquer avec le chef de l’État en affirmant de son côté : « Je pense qu’il est très dangereux de retirer le soutien des institutions à ceux qui chaque jour risquent leur propre sécurité pour garantir la nôtre ». Sergio Mattarella qui a toujours scrupuleusement veillé à garantir l’action du gouvernement en dépit de sa différence de culture et de sensibilité politique a fait savoir qu’il s’étonnait de la polémique et que tout son parcours plaidait pour la solidarité avec les forces de l’ordre dans l’exercice normal de leur fonction. Il n’empêche que la sortie intempestive de Meloni pourra laisser des traces même si elle affirmait ce samedi qu’il n’y a pas de crise entre elle et le Président de la République.

Voilà pour l’acte un. Le second risque d’avoir des conséquences politiques plus immédiatement négatives pour la présidente du conseil. Contre toute attente, à l’élection régionale qui se déroulait en Sardaigne les 25 et 26 février, la candidate soutenue par le Parti Démocrate (PD) et les Cinque Stelle a battu le représentant des Fratelli d’Italia. Victoire étriquée (43,4 % contre 43 %), mais significative et symbolique. Alessandra Todde, désormais première femme gouverneur de la Sardaigne est une dirigeante du M5S qui joue pleinement la carte de l’alliance avec le PD et confirme que seule celle-ci élargie aux partis de gauche et du centre est capable de battre l’extrême droite. On se souvient que le centre gauche désuni avait fait la démonstration inverse lors des législatives de 2022. L’enjeu politique du scrutin sarde n’était pas mince. D’abord pour Elly Schlein qui fêtait sa première année à la tête du Parti Démocratique et qui avait accepté, malgré de fortes réticences internes de soutenir la candidate des Cinque Stelle. Une défaite l’aurait certainement mise en difficulté au sein de son parti. Ensuite pour Giorgia Meloni qui comptait sur sa popularité pour faire triompher un candidat qu’elle avait imposé à ses alliés de la Lega et de Forza Italia peu enthousiastes. Il est vrai que le candidat de l’extrême droite, maire contesté et impopulaire de Cagliari[1] fait partie de cette vieille garde de matrice fasciste dont Meloni aime à s’entourer. C’est d’ailleurs un candidat du même type qui défend ses couleurs lors de la prochaine échéance régionale qui aura lieu le 10 mars dans les Abruzzes. Mario Marsilio, président sortant affrontera Luciano D’Amico, le représentant de toutes les forces d’opposition du centre, du centre gauche et de la gauche qui ont réussi à conclure l’alliance la plus large. Celle-ci n’est pas, c’est le moins qu’on puisse dire, la garante d’une cohérence politique, mais, dans les circonstances actuelles, elle est, on l’a vu en Sardaigne, la condition de la victoire. Dans les Abruzzes aussi l’issue du scrutin sera sans doute extrêmement serrée.

Pour Giorgia Meloni, un deuxième échec électoral successif prendrait bien l’allure d’un arrêt de sa marche triomphale et accentuerait les divisions au sein de la majorité. Même, s’il faut le dire, son parti, les Fratelli d’Italia, certes en recul, demeure bien la première formation politique italienne.[2] En tous cas une nouvelle défaite ajoutée à son faux pas institutionnel dans l’affaire des violences policières pourrait la mettre en mauvaise posture. Pour Elly Schlein et le centre gauche, la suite des événements ne s’annonce pas non plus comme un fleuve tranquille. La secrétaire du PD qui s’efforce de remettre en cause la ligne sociale libérale de ses prédécesseurs[3] doit faire face à de solides oppositions internes et elle peine à tracer une ligne alternative qui pourrait reconstruire le parti du centre gauche. De plus, l’alliance avec le M5S de Giuseppe Conte est loin d’être pérennisée. En raison du parcours tortueux de l’ancien premier ministre, mais aussi de réelles divergences politiques notamment sur la guerre en Ukraine où il refuse la ligne atlantiste pure et dure. D’ailleurs, pour l’instant, il n’y a pas de candidature commune pour les prochains scrutins régionaux de l’Ombrie, de la Basilicate et du Piémont (en avril et juin). La reconstruction d’une force et d’un projet politique capables de présenter une véritable alternative à l’extrême-droite nécessitera encore un long chemin.

[1] Paolo Truzzu a eu un parcours classique des anciens du MSI (Mouvement Social Italien néo-fasciste). Il affiche d’ailleurs sur son bras un tatouage avec la mention TRUX, contraction de son nom Truzzu et Dux, pour Mussolini.

[2] Y compris en Sardaigne où son candidat a été battu, mais où dans la formule des votes « disjoints » on peut donner sa voix au candidat(e) gouverneur de son choix tout en votant pour un autre parti dans le scrutin de listes qui se déroule en même temps.

[3] Voir le Blog-Notes « L’embellie Schlein » : https://leblognotesdehugueslepaige.be/2023/02/

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4 réponses à Italie : les (petits) soucis de Meloni

  1. BARAS Jean-Pol dit :

    Merci de cette analyse et merci déjà d’en fournir une semblable à propos du scrutin des Abruzzes le 10 mars.

    Cordialement

    Jean-Pol BARAS

  2. DEBRULLE Claude. dit :

    Bonjour Hugues,

    J’apprécie énormément les analyses de la politique italienne que tu publies sur ton blog-notes.

    C’est d’autant plus utile que cette actualité est peu présente dans les médias belges et français que je parcours très régulièrement.

    Merci à toi et bonne continuation.

    Claude.

  3. Luc Karkan dit :

    Cette victoire aux élections régionales en Sardaigne de cette coalition précaire du M5S et du PD n’est pas du tout assurée. Et même si elle devait se confirmer, la montée en puissance de la Présidente du Conseil sur l’électorat italien ne me semble pas en panne.

    1. Hugues Le Paige dit :

      C’est pour cela que je parle de « petits soucis », si on veut bien me lire

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