Italie : le gouvernement-poudrière…

Sur l’image, ils sont sages comme des ministres « ordinaires », alignés comme pour un banal gouvernement du « système ». Mais il ne faut pas s’y tromper le gouvernement Conte (en fait le gouvernement Di Maio-Salvini) est une véritable poudrière. Dans l’immédiat le pire a été évité : il n’y aura pas de nouvelles élections triomphales pour les partis populistes. Mais dans la suite, le pire risque aussi d’advenir, en particulier pour les migrants, car Matteo Salvini, ministre de l’Intérieur en état de guerre annonce déjà des coupes sombres dans les budgets d’accueil et sa politique raciste sera la plus dure de toute l’Europe de l’Ouest. On verra si les ministres 5S le suivront jusqu’au bout, mais le « contrat » de gouvernement, véritable « troc » de priorités, le laisse présager.

 

 

En fait, La Lega et le M5S sont pleinement en accord dans deux domaines : une politique fiscale ultra libérale (« flat tax » à 15 et 20 %) et une politique anti-austérité et de relance par la consommation intérieure — que ne dénierait pas la gauche — qui, elle, est le véritable point d’achoppement avec la doxa européenne. Déjà ces deux points d’accord portent en eux leurs propres contradictions. Sur bien d’autres questions (social, sociétal, environnement notamment), les frictions ne manqueront pas[1]. Ce gouvernement qui ne compte que 5 femmes sur 19 ministres est aussi un mariage de l’eau et du feu en ce qui concerne les 5 ministres « techniciens »[2]  et/ou non élus. Les deux partis majoritaires ont pu maintenir l’économiste eurosceptique Savona au sein de l’équipe, mais à un poste moins exposé, mais d’importance stratégique non négligeable (Politiques Communautaires). À l’économie, celui-ci laisse la place à Giovanni Tria qui a des accents euro-critiques, mais qui a été longtemps proche de Forza Italia. Comment ces deux-là s’accorderont-ils avec l’européiste de fer, Enzo Moavero Milanesi[3], explicitement nommé aux Affaires Etrangères pour « rassurer » Bruxelles ?  La cohésion du « gouvernement du changement »  sera, dans ce domaine comme dans bien d’autres, une véritable quadrature du cercle. À cela s’ajoutent deux éléments qui fragiliseront encore davantage cette équipe inédite : l’inexpérience — et parfois  peut-être l’incompétence — des néo ministres des deux partis et le regard que chacun maintiendra sur l’horizon électoral. En cas d’affrontements majeurs, il s’agira de « bien » tomber au bon moment. Le passage d’une campagne électorale permanente (avant et après le 4 mars) à l’action gouvernementale ne se fera pas naturellement. Un répit s’offre à présent avec la composition — même très difficile — des cabinets et la présentation devant les Chambres, mais l’affrontement avec le réel est désormais inéluctable. Dans cette crise qui ne s’arrêtera pas avec l’installation du gouvernement, le rôle de l’Europe occupera une place déterminante. La Commission a jusqu’ici choisi la confrontation ou la pression par la voix de son Commissaire au budget, l’allemand Gunther Oettinger, pour qui les marchés doivent apprendre aux Italiens à bien voter et même par celle de son président, le luxembourgeois Jean Claude Juncker, qui appelle les Italiens à « moins de corruption et plus de travail ». La recommandation serait plus crédible si elle ne venait pas d’un homme politique qui, en son temps, a érigé la fraude fiscale en politique gouvernementale. Si la Commission persiste dans cette voie, elle consolidera sans faute le sentiment anti-européen des Italiens et la légitimité souverainiste de ses nouveaux dirigeants…

[1] Voir le Blog-Notes : http://www.revuepolitique.be/blog-notes/italie-les-contradictions-du-populisme-au-pouvoir/

[2] Ministres techniques « purs » ou non élus assimilés aux partis majoritaires. Ce qui est le cas de Tria (Lega)

[3] Ancien haut fonctionnaire à Bruxelles (notamment vice-secrétaire général de la Commission), Secrétaire d’État puis ministre des Affaires européennes dans les gouvernements Ciampi, Monti et Letta, les plus alignés sur la politique de la Commission.

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