La crise est sans précédent : politique, institutionnelle, de régime. En refusant la nomination de Paolo Savona au poste de ministre de l’Économie, le chef de l’État a pris une décision aussi discutable sur le plan constitutionnel que contestable sur le plan politique. Surtout si l’on veut bien analyser ce refus dans le cadre de l’ensemble de la séquence qui a suivi. Certes, le président nomme les ministres sur proposition du président du Conseil. Mais jusqu’ici, les refus de nomination concernaient le statut des candidats recalés (comme, en 1994, Cesare Previti, l’avocat de Silvio Berlusconi proposé par celui-ci comme ministre de la Justice) et non pas leur positionnement politique, surtout s’il correspond à celui de la majorité issue des urnes. On peut comprendre les réticences présidentielles vis-à-vis d’un homme qui défendait la possibilité de la sortie de l’euro (comme plan B en cas d’échec d’une éventuelle renégociation des traités) — ce qui, jusqu’ici, est légitime en démocratie — mais parfois dans termes germanophobes inacceptables.
Des solutions alternatives pouvaient pourtant être recherchées : scinder l’économie et les finances, « encadrer » le ministre en question par des personnalités ayant l’aval présidentiel. D’autant, que le « contrat » de gouvernement Lega-M5S est en retrait sur les questions européennes. Mais soit, admettons que, de son point de vue, le président n’ait pu accepter cette nomination. Pour autant, fallait-il, immédiatement après un discours prononcé au nom de la défense des « épargnants et des investisseurs », appeler à la rescousse un ancien fonctionnaire du FMI, champion des politiques d’austérité, adversaire déclaré du programme Lega-M5S ? Carlo Cottarelli étant de surcroît présenté comme un candidat président du Conseil « neutre »… Si ce n’était aussi étranger à la personnalité du Président Mattarella, on parlerait de «provocation » et c’est bien comme cela qu’elle sera vécue par les électeurs de la Lega et du M5S (et peut-être par bien d’autres). Dans les circonstances actuelles, Cottarelli n’a pratiquement aucune chance d’obtenir une majorité au parlement et dès lors de nouvelles élections auront lieu à l’automne. Le scénario dessiné par le président de république offre un boulevard électoral aux formations populistes.
Leur campagne est livrée sur un plateau : refus du verdict des urnes, mépris des Italiens, ingérences de Bruxelles et de Berlin. Et, si, comme ils l’envisagent, la Lega et le M5S font campagne commune, le bulldozer électoral écrasera tout sur son passage. Et ce gouvernement de droite — et d’extrême droite — bénéficiera d’une légitimité de fer avec des conséquences encore plus dramatiques. D’une certaine manière, c’est bien ce que souhaitait obtenir Matteo Salvini qui veut au plus vite imposer son hégémonie dans le camp populiste. La gauche déjà rétamée lors du scrutin du 4 mars ne pourra rien y faire. Et puisque c’est sur le terrain européen que s’est déroulée la confrontation, on reste sans voix devant l’obstination aveugle des responsables italiens et européens (ceux des gouvernements comme ceux de la Commission) qui ne veulent pas voir ce rejet de plus en plus radical des politiques d’austérité (et dans ce cas migratoires).
En Italie, en l’absence de toute alternative de gauche, ce refus s’exprime par un populisme et un souverainisme de droite. La double faute du président Mattarella risque, hélas, de les renforcer.