Il n’y aura pas de 663eme…

Cette chronique a été publiée dans La Libre de ce jeudi 5 septembre.
Si ma chronique radio disparaît, ce Blog-Notes, lui, se poursuit évidemment plus que jamais…

Pendant 17 ans, de janvier 1996 à juin 2013, quelles que soient les circonstances, il n’y eut pas un seul rendez-vous manqué pour la chronique radio hebdomadaire que j’assurais sur La Première. 662 chroniques ! Un bail auquel la RTBF a décidé de mettre fin, ce qui est évidemment son droit le plus absolu. Ce jeudi, il n’y aura donc pas de 663eme… Comme je n’ai pas eu l’occasion de remercier sur les ondes ceux qui écoutaient cet exercice si particulier de la chronique et qui, souvent, ne manquaient pas d’y réagir, je le fais par ces quelques lignes, profitant de l’hospitalité de la Libre.

La chronique est un rendez-vous qui crée un lien particulier entre celui qui l’écrit et celui qui la lit ou l’écoute. A heure fixe, à un moment précis, l’échange peut avoir lieu (ou non…) : le chroniqueur livre sa copie, le lecteur sait qu’il va sans doute partager le propos ou qu’il sera probablement hérissé (mais qu’il y répondra) ou mieux encore, il espère être surpris. Les attentes sont parfois déçues mais les règles du jeu sont bien celles-là. Ecriture, style, point de vue, la chronique, sur le fond comme sur la forme, appartient au genre le plus libre du journalisme. Elle se définit d’abord par sa subjectivité totalement assumée. Elle s’exprime à la première personne. Mais le « Je », dans ce cas, est d’abord modestie m’expliquait un jour Jean Lacouture. Loin du narcissisme audiovisuel, ce « je-là » veut dire : « ce n’est que mon avis » qui ne prétend pas à la vérité mais à l’expression d’un regard sur monde d’ici et d’ailleurs. Un regard qui, ajoutait le grand journaliste-biographe, est le résultat d’une alchimie complexe qui va « de ce que l’on a vécu dans le ventre de sa mère jusqu’au dernier livre que l’on a lu ».

Un bref regard dans le rétroviseur de 17 années de chroniques permet de mesurer les changements qui cadencent le monde. Intitulée à ses débuts et sur la suggestion de son inspirateur, Jean Pierre Jacqmin [[Jean-Pierre Jacqmin n’était pas encore directeur de l’information mais responsable de la tranche matinale sur la Première et qu’il soit remercié ici de sa proposition d’alors.]] , « Pensées multiples », cette chronique incarnait la volonté de faire entendre une voix qui tranche avec la « pensée unique » qui régnait en maître dans les médias comme dans les cercles politiques traditionnels, toutes tendances confondues. Aujourd’hui, les crises successives du capitalisme financier et de l’ultralibéralisme ont permis à des voix divergentes de s’exprimer avec un peu moins de difficultés mais peut-on vraiment penser que le rapport de forces ne reste pas fondamentalement identique ? Certes, les dégâts provoqués par la crise ont ouvert des brèches dans les certitudes idéologiques. Mais la tonalité médiatique commune continue de se mouler dans un discours qui n’entend à aucun moment mettre en doute la pérennité du capitalisme contemporain. Des failles existent : ces 662 chroniques ont tenté, à leur manière, de s’y glisser et, dans la mesure du possible, de les élargir. En insistant sans relâche, et jusqu’au risque de répétition, sur quelques thèmes que j’ai la faiblesse de penser déterminants dans l’évolution des esprits et des comportements : les dérives médiatiques qui ont abouti à la spectacularisation de l’information, le sens et l’importance de la politique en dépit de sa dévalorisation permanente y compris par une part importante de ses acteurs, le rappel incessant que l’égalité doit rester – ou plutôt redevenir !- « l’ étoile polaire de la gauche », comme disait le philosophe Norberto Bobbio. Tout cela ne fait qu’une modeste contribution qui ne se berce pas d’illusion sur ses effets réels mais qui répond à un esprit de résistance simplement indispensable à la vie de citoyen. Ces chroniques trouveront désormais d’autres chemins sur lesquels j’espère encore vous croiser.

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