L’extension du domaine de la crise a pour effet de remettre à l’ordre du jour un débat que l’on pensait enterré : libre échange ou protectionnisme. L’enjeu est de taille : il conditionne sans doute notre avenir démocratique. Depuis la construction de l’Europe, d’abord baptisé– il faut le rappeler- « marché commun », le libre échange était un crédo devenu inébranlable. Libre circulation, marché unique, concurrence et privatisation ont été les mamelles sacrées de la construction européenne. Il est vrai que durant les périodes de croissance et de développement quasi ininterrompu, elles ont porté leurs fruits et produit leurs richesses.
Aujourd’hui que libéralisme et dérégulation nous ont conduits à la catastrophe que l’on connaît, des tabous se brisent. Le mot protectionnisme réapparaît. Et dans les faits, même les partisans les plus rigoureux de l’orthodoxie libre échangiste, sont pris en flagrant délit de pragmatisme peu ou prou protectionniste. C’est qu’il faut bien répondre aux craintes des peuples menacés ou déjà victimes du chômage et de la de la dépression. Un peu partout dans le monde, y compris en Europe, des gouvernements prennent des mesures qui visent à protéger les industries nationales. Quant aux Etats-Unis, au plus fort de leur discours libre-échangiste, ils ont toujours veillé d’abord à prémunir leurs intérêts vitaux qu’il s’agisse de l’acier ou de l’agriculture. Au prochain conseil européen le débat sur le protectionnisme sera rude mais bien au-delà, la question fait désormais partie du débat de fond provoqué par la crise du capitalisme.
L’historien, démographe et sociologue, Emmanuel Todd défend depuis longtemps un certain retour au protectionnisme. Dans son dernier essai « Après la démocratie », paru chez Gallimard, il dresse un réquisitoire sans pitié contre « le libre échange, qui bien loin d’apporter la paix, jette les peuples les uns contre les autres dans une guerre économique sans fin ».
Et Todd de plaider pour un protectionnisme « dont le but, dit-il, n’est pas fondamentalement de repousser les importations venues des pays situés à l’extérieur de la préférence communautaire, mais de créer les conditions d’une remontée des salaires », indispensable à une relance de la demande intérieure et ensuite des importations elles-mêmes. Todd va plus loin encore car il voit dans le protectionnisme européen, la condition d’un maintien d’une démocratie aujourd’hui menacée d’asphyxie sociale. La mise en application du principe reste vague mais le débat, lui est désormais incontournable.