Il y a quelques jours à peine le referendum irlandais a surgi «à la une» des médias comme un véritable diable sortant d’une boîte. Comme s’il s’agissait d’une surprise. Alors que l’on connaissait de longue date l’existence de cette exception irlandaise qui permet au peuple de se prononcer directement sur le Traité de Lisbonne, à l’inverse des 26 autres états membres où ce sont les parlements qui décident, ce qui n’est d’ailleurs pas nécessairement moins démocratique, à condition, bien sûr, qu’un véritable débat ait lieu non seulement dans l’enceinte parlementaire mais dans aussi dans la société. Vous conviendrez que de ce point de vue, on est loin du compte ! Non, la surprise n’est donc pas la consultation irlandaise mais l’éventualité qu’elle débouche sur un rejet du Traité censé débloquer le fonctionnement institutionnel de l’Union.
C’est que la campagne référendaire irlandaise exhale un parfum connu. Incompréhension et donc méfiance vis à vis d’un texte illisible, critiques contradictoires qui marient souverainistes de gauche et ultra catholiques pro avortement, syndicats et partisans du dumping fiscal, mais aussi et peut-être surtout défiance populaire en proie au mépris des élites et sentiment, face aux effets de la mondialisation, d’être dépossédé de son avenir alors que c’est au contraire une protection qui est espérée. Autant d’éléments qui ont nourri en 2005 le rejet français et hollandais du projet de Constitution européenne. De là à imaginer que les mêmes effets, produisent les mêmes causes… on verra demain.
En tous cas, tout se déroule comme si les dirigeants de l’Union européenne — dont on conviendra qu’ils ne sont jamais que la somme des dirigeants nationaux et l’addition de leurs rapports de force — tout se déroule comme s’ils n’avaient retenu aucune leçon de 2005.
Car, en fin de compte, le Traité de Lisbonne s’est concocté dans une cuisine quasi clandestine. On a mis le couvercle sur la casserole, le bouillon institutionnel s’est réduit à la cuisson mais les ingrédients sont restés identiques et surtout il ne fallait pas parler de la recette. Les citoyens étaient priés d’avaler le met sans autre choix et sans rouspétance. Surtout pas de vague, pas de débat inconsidéré : voilà le menu de Lisbonne et « passez muscade »…
Quelle que soit l’issue du referendum irlandais, il restera cette évidence jusqu’ici négligée par les gouvernants: les gouvernés ne peuvent adhérer à un projet aussi fondamental que celui de l’Union Européenne que s’ils en sont considérés comme de véritables acteurs avec leurs droits de débattre, de critiquer, voire de refuser la manière dont il est conduit.