Ce dimanche 26 janvier, l’Emilie Romagne vote pour des élections régionales dont le résultat aura une forte résonance nationale. À plus d’un titre. D’abord parce que la Lega de Matteo Salvini, forte des sondages qui la désignent toujours comme le premier parti d’Italie, mais aussi de ses victoires récentes lors de scrutins locaux a été la première à en faire un test national. Le « capitaine » de la Lega entend bien que sa victoire entraîne la chute du gouvernement Conte II et de la coalition brinquebalante du PD et des 5Stelle.
Ensuite, parce que même si son candidat local, le sortant Stefano Bonancini veut limiter l’enjeu au bilan de sa gouvernance passée (et plutôt appréciée sur le plan purement gestionnaire), le PD a, de fait, accepté la dimension nationale de l’affrontement émilien. Le parti de Nicola Zingaretti doit en effet triompher s’il veut donner une certaine crédibilité à son projet — encore flou — d’une xième refondation du PD, ouverte comme il se doit aux mouvements citoyens et à la société dite civile. Il faut aussi compter avec la valeur symbolique de l’issue de la bataille électorale. Parce qu’elle se déroule dans un ancien bastion rouge où jadis l’hégémonie du PCI était sans partage. Mais depuis la fin du parti communiste (1991), bien des courants ont coulé sous les ponts du Po. Bologne a même connu un maire berlusconien (1999) et là, comme ailleurs, la déliquescence de la gauche a produit ses effets. En 2018, le PD a déjà été dépassé par les 5 Stelle lors du scrutin national et en 2019, lors des européennes, c’est la Lega qui a eu la primauté sur le centre gauche.
La Lega victorieuse sur les terres marquées par les luttes ouvrières et paysannes du Novecento ! La région rouge appartient au passé depuis longtemps. Elle a connu, comme nulle part ailleurs, l’effacement progressif du bloc historique inédit que le PCI avait su constituer en alliant les couches populaires et la bourgeoisie des petites et moyennes entreprises. L’Emilie Romagne (avec la Toscane et l’Ombrie) était la vitrine par excellence de ce communisme italien, démocratique et gestionnaire. Aujourd’hui non seulement ce « bloc historique » a vécu, mais le territoire a connu une évolution classique et propre à de nombreuses régions européennes. Même si la région demeure globalement riche avec un revenu par tête d’habitant parmi les plus élevés d’Italie, cette richesse est de moins en moins bien répartie et les inégalités de classes et de territoires se sont creusées. Comme partout les centres urbains demeurent peu ou prou acquis au PD (même si avant sa crise, les 5 Stelle le talonnaient) tandis que les périphéries suburbaines et les petites localités sont déjà tombées aux mains de la Lega. Mais même si elle ne correspond plus à la réalité, la « région rouge » demeure dans un coin de l’imaginaire politique de bien des Italiens et une victoire de l’extrême droite n’en serait que plus retentissante. À quelques jours du scrutin, les sondages sont indécis même si Lucia Borgonzoni la candidate de la coalition de droite et d’extrême droite (et non de « centre droit » comme s’échinent encore à le dire les médias italiens et internationaux) s’est plutôt distinguée par ses maladresses et laisse le terrain à son leader national qui assure en personne l’essentiel de la campagne.
Il y a, enfin, une troisième raison qui fait de ce scrutin du 26 janvier, « une journée particulière ». C’est à Bologne, un soir improbable de novembre 2019, qu’est né sur la Piazza Grande le mouvement des sardines qui incarne aujourd’hui la résistance à l’extrême droite et à la politique de la haine. Un mouvement spontané et « hors cadre », modéré dans son langage mais radical dans ses valeurs, qui prône la solidarité et la défense des institutions démocratiques et fait de la diversité (sous toutes ses expressions) une valeur essentielle pour la société italienne. Après avoir fait tache d’huile (évidemment) fin 2019, les sardines ne faiblissent pas en 2020. Dimanche dernier, en pleine campagne électorale, plusieurs dizaines de milliers de femmes et d’hommes enthousiastes, de toutes origines et générations, se sont rassemblés pour un événement culturel et festif et dire encore une fois leur refus de l’extrême droite. Leur porte-parole l’a répété : les sardines ne sont pas et ne seront jamais un parti, mais veulent redonner leurs lettres de noblesse à la politique. Il n’y aura pas de consigne de vote… mais l’attitude électorale des sardines sera déterminante pour l’issue du scrutin. Dans ce sens, il n’y a pas vraiment d’alternative au vote en faveur du candidat sortant de centre gauche (qui ne se présente pas avec l’étiquette PD). Certes, les 5 Stelle ont leur candidat, de même que le petit groupe d’extrême gauche du PAP (Parole au Peuple) et comme des représentants de groupuscules rescapés des vielles scissions postcommunistes, mais il est peu probable que le choix ces sardines se porte sur ces différents candidats. D’ailleurs, les sardines voteront-elles, et si oui, dans quelle proportion et comment ? Triple point d’interrogation qui conditionne l’avenir du mouvement, de la région, et du gouvernement…
La force des valeurs démocratiques que les sardines ont fait ressurgir sur les places d’Italie aura-t-elle aussi une traduction électorale ? C’est sans doute bien là la question la plus importante de cette « journée particulière ».