On ne sait ce qui trouble le plus dans cette affaire : la confusion, la méconnaissance des dossiers et le sensationnalisme pratiqué par les médias (à quelques notables exceptions [Voir notamment [le remarquable éditorial de Marc Metdepenningen, «L’antiterrorisme ne peut être un secret d’Etat», dans Le Soir de 7 et 8 juin 2008]] près) ou la manière dont les autorités judiciaires ont mené leur opération anti-terroriste. L’attitude de ces dernières induisant naturellement le comportement des premiers. Et même si on a précisé au fil des heures qu’il y avait deux cas de figures distincts dans les arrestations opérées ce jeudi 5 juin, la simultanéité des opérations devait inévitablement entraîner l’amalgame. Dans un premier temps en tout cas – et c’est bien ce qui restera dans la mémoire de l’opinion-, l’élément le plus spectaculaire était évidemment l’arrestation concomitante des deux anciens dirigeants des CCC. On entendait d’ailleurs sur la radio publique une journaliste interroger un confrère sur le fait que « les CCC seraient une cellule à nouveau active » tandis qu’un autre « spécialiste », évoquait pêle-mêle et dans un salmigondis idéologique « communisme, trotskysme, marxiste léninisme et terrorisme » pour situer l’engagement des anciens membres des CCC. De son côté « La Libre Belgique » n’hésitait pas à titrer « CCC, la rechute ». Et ce ne sont là que quelques exemples parmi tant d’autres.
Pour en venir aux faits, il faut rappeler que l’on doit distinguer le cas de Pierre Carette, qui ne fait l’objet d’aucun mandat d’arrêt mais qui a été interpellé, selon la justice, pour ne pas avoir respecté les termes de sa libération conditionnelle, des autres arrestations. Accusation, par ailleurs, complètement repoussée par son avocate. Les conditions de cette libération étaient notamment de ne pas fréquenter régulièrement ses anciens complices. Or si Carette a bien vu Sassoye après sa libération en 2003, la police devait savoir qu’ils ne se fréquentaient plus régulièrement. Les rencontres occasionnelles en public ou, par exemple, dans le cadre d’un reportage télévisé étaient par définition connues de tous, y compris de la justice qui n’a jamais jugé opportun d’intervenir. Dès lors pourquoi l’arrestation particulièrement brutale et sans notification de jeudi ? Pourquoi cette procédure tout à fait exceptionnelle, menée de surcroît en même temps qu’une opération anti terroriste concernant notamment un de ses anciens proches ?
On peut évoquer différentes hypothèses. La volonté précisément de pratiquer l’amalgame de façon à faire mousser l’événement. A une semaine du procès en cassation du DHKPC, c’est aussi une manière d’installer un certain climat, d’inquiéter l’opinion, de titiller des médias qui réagissent au quart de tour. Par ailleurs, on ne peut s’empêcher de se souvenir du véritable acharnement judiciaire dont Carette a été l’objet, maintenu 18 ans en prison, record absolu par rapport à sa peine et sa situation et alors qu’il était libérable après 10 ans accomplis. Le tribunal d’application des peines se prononcera sans doute lundi sur le maintien ou non de sa détention. Sur base des informations existantes, on voit mal comment il pourrait objectivement confirmer cette dernière sauf à donner le sentiment de prolonger l’acharnement d’une justice revancharde.
Entendons-nous bien, le terrorisme est la négation même du politique et l’acte de mort le plus inacceptable qui soit. Pour en avoir suivi les péripéties depuis les années 70 en Italie, j’ai eu souvent l’occasion de m’exprimer d’une manière catégorique à ce sujet. Et l’incapacité ou le refus de certains anciens acteurs de ces périodes de faire les comptes avec l’histoire (et leur histoire), comme leur prétention de rester inébranlablement fidèles à leurs choix d’antan me semblent encore plus pathétique qu’insupportable. Mais cela n’autorise pas pour autant un Etat à se conduire comme s’il menait une guerre privée et personnelle à leurs égards.
Quant aux autres arrestations dont celle notamment de Bertrand Sassoye et de la journaliste de la RTBF Wahoub Fayoumi, on s’interroge également. L’accusation de « participation à organisation terroriste » est suffisamment grave pour être sérieusement étayée. Ces accusations remonteraient à des « informations de presse » parues en février 2007 au moment de l’arrestation à Milan des membres du groupe terroriste « Parti Communiste politico-militaire ». Il aurait donc fallu plus d’un an aux autorités judiciaires belges pour vérifier des écoutes téléphoniques fournies par la justice italienne ? Il faut, en tous cas, que la justice fournisse des éléments clairs pour étayer ses accusations. Faute de quoi, le flou judiciaire conjugué à l’emballement médiatique laissera la porte ouverte à toutes les hypothèses de manipulation. Ce ne serait pas la première fois dans ce pays que des mesures antiterroristes sans bases réelles et avérées sont utilisées pour des manœuvres douteuses. Dans ce contexte une information rigoureuse de la part de l’appareil judiciaire est une exigence démocratique catégorique.