Une fracture, pas une fissure – comme annoncée dans la chronique précédente – : l’ampleur de la défaite électorale est sans précédent depuis l’entrée en politique de Silvio Berlusconi, en 1993. Une défaite qui présente plusieurs caractéristiques importantes : elle se traduit aussi bien au Sud qu’au Nord du pays, de Naples à Milan et de Cagliari à Trieste; elle se manifeste avec des écarts de voix souvent considérables ( Naples étant la cas le plus spectaculaire où De Magistris, le candidat de l’Italie des Valeurs – Di Pietro- l’emporte avec plus de 65 % des suffrages alors que peu d’observateurs lui promettaient la victoire); elle signifie une défaite personnelle cuisante pour Berlusconi ( et sa politique) qui avait, comme toujours, voulu transformer une consultation électorale en referendum sur sa personne.
Le rejet est évident et massif. Mais Berlusconi et son Parti de la Liberté ne sont pas les seules victimes des urnes : ils ont entraîné dans la défaite leur allié de la Ligue du Nord. Jusqu’ici les deux partis avaient constitué une sorte de bassin électoral commun ; en général, au fil des consultations, les pertes des uns étaient compensé par les gains des autres. Cette fois ils ont cumulé les pertes de voix. Ce ne sera évidement pas sans conséquence sur le sort de la majorité actuelle, Umberto Bossi considérant que l’affaiblissement de la Ligue est du essentiellement aux erreurs stratégiques de Berlusconi, à ses attaques incessantes contre la magistrature en même temps qu’à ses démêlés permanentes avec la justice. Ce qui n’est sans doute pas inexact mais ne suffit pas à expliquer les pertes sévères de la Ligue du Nord dans certains de ses bastions jugés, jusqu’ici, inexpugnables. L’image de cette Ligue du Nord, parti de masse qui avait su occuper le territoire au détriment de la vieille gauche, en prend un sérieux coup. Certes, cela ne signifie pas un déclin assuré des « leghistes » mais dans un certain nombre de villes du Nord qui étaient entre leurs mains, le PD devient la principale force.
Dans le camp victorieux, les leçons ne sont pas moins significatives. Les candidats qui ont triomphé à Milan et à Naples mais aussi à Cagliari et dans d’autres cités n’étaient pas ceux qui avaient l’appui des directions du centre-gauche. Ce sont, en quelque sorte, des francs-tireurs, qui ont attiré une adhésion populaire forte. Des hommes loin des appareils, porteurs de valeurs éthiques et incarnant l’esprit de légalité, représentant l’antiberlusconisme à la fois sur le plan des principes et des réalités concrètes. D’ailleurs le centre-gauche sait que cette victoire est d’abord un rejet du Cavaliere. Étape indispensable mais pas suffisante pour un véritable changement en Italie. Pour se protéger de la justice, Silvio Berlusconi s’accrochera au pouvoir jusqu’à la fin de la législature en 2012 du moins si sa majorité ne vole pas en éclat. Le centre-gauche a de toute manière besoin de ce délai pour présenter une alternative crédible. Pour l’instant il reste divisé, sans véritable leader et sans projet convaincant. Au Parti Démocrate, le débat est toujours en cours sur les alliances à privilégier : les uns souhaitant renforcer les accords avec l’ Italie des Valeurs de Di Pietro et parti « Socialisme, Écologie, Liberté SEL)», de Nicky Vendola, héritier, entre autres, de Rifondazione Comunista, les autres plaidant pour une coalition avec le centre droit de l’UDC ( démocrate chrétien) voir avec le parti de la droite légaliste de Gianfranco Fini. Faire pencher le centre-gauche un peu plus gauche ou – encore- un peu plus à droite ? Tel et le choix déterminant qui incombe au PD. Les derniers résultats des élections administratives indiquent clairement que c’est la première hypothèse qui est gagnante mais l’issue du débat reste incertain.
Berlusconi, lui, poursuivra de toute manière sa fuite en avant pour tenter de se maintenir au pouvoir ce qui entrainera, sans aucun doute des règlements de comptes périlleux au sein de sa propre majorité. Et si toute le monde s’accorde aujourd’hui pour considérer que le compte à rebours est enclenché pour le Président du Conseil, il faudra encore du temps, beaucoup de temps pour effacer les effets du berlusconisme qui depuis vingt ans a profondément imprégné la société italienne.