Les adversaires de Macron s’accrochent à cette hypothèse désespérée et consolatoire : la presse est en hypnose et les sondages surestiment la vague présidentielle. Mais ils n’y croient pas vraiment eux-mêmes. Il faut bien l’admettre : un rouleau compresseur est à l’œuvre. Il est dû à la fois aux circonstances (exceptionnelles), à l’habileté du novice en politique et à l’aveuglement obstiné de la gauche. En bon lecteur de Machiavel[1], Macron a su profiter de « la fortune [qui] se présente suivant les cas, comme contingence aveugle ou comme occasion propice à l’initiative courageuse [la virtu] »[2].
En fait, plus personne ne doute vraiment qu’Emmanuel Macron disposera au soir du 18 juin d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Les sondages donnent entre 29,5 et 31 % et entre 320 et 425 députés à La République En Marche. Du jamais vu depuis La Chambre bleue horizon de 1919 qui avait alors accueilli une majorité écrasante d’élus anciens combattants. Le sort des anciens ténors de la droite (même « macro-compatibles ») comme de la gauche socialiste, tous en difficultés extrêmes même dans des circonscriptions jugées imperdables, témoigne de cette Bérézina promise aux anciens partis de gouvernement. Rien ne semble pouvoir arrêter le mouvement enclenché par la victoire présidentielle
Dans Le Monde[3], un candidat socialiste du Sud de la France résume le tout en des termes imagés qui illustrent bien l’amère déception : « Quand il pleuvait sur Hollande, on disait qu’il était poisseux. Quand il pleut sur Macron, on dit qu’il affronte les éléments ! La presse est couchée devant le pouvoir, et beaucoup de Français veulent donner une majorité à Choupinou 1er ». En attendant cette presse « couchée » a dévoilé quelques éléments de la réforme du code du travail dont les accents ultralibéraux dépassent même le programme présidentiel (notamment en matière de conditions de licenciements et de modifications des statuts et des contrats). Certes, la ministre du travail dément et renvoie à la concertation promise. Ballon d’essai ou prémisses réelles ? En tous cas, la vraie nature de la nouvelle majorité se profile et le retour au quotidien post-électoral risque d’être sans pitié.
Il n‘est pas certain pour autant que ces « incertitudes » sur la réforme du travail modifient le cours du scrutin, tout comme l’affaire Ferrand semble jusqu’ici sans effet majeur. La France, dans une démarche dont elle a le secret[4], semble bien plongée dans une volonté (et pour certains, sans doute, une résignation) légitimiste qui ouvre grand les portes à un pouvoir qui risque d’être sans partage parce que sans alternatives. En dehors des crises et des explosions révolutionnaires, l’histoire de France est ainsi jalonnée de ces épisodes où un Prince décidé peut rassembler un consensus jusque-là jugé impossible ou improbable.
La responsabilité de la gauche est, de ce point de vue, écrasante. La seule alternative opposable au macronisme triomphant eut été un rassemblement de toutes les forces anti-libérales susceptibles de mobiliser un quart de l’électorat. L’histoire tranchera mais on sait déjà qui était en mesure d’incarner cette alternative et qui a été incapable d’en endosser les habits sans doute trop grands pour lui.
[1] Auquel il a consacré un mémoire en DEA de philosophie à Nanterre.
[2] Le Prince
[3] Le Monde du 8 juin 2017.
[4] Voir à ce sujet le numéro spécial de Politique « Cette République que nous avons tant aimée », n°98/99, mars 2017.