Il y eut le péché originel : en 1957, l’Europe était une invention politiquement démocrate chrétienne (éternelle force centriste incapable de trancher en politique) et économiquement libérale (essentiellement au service des intérêts industriels et financiers). Elle s’appelait d’ailleurs – se revendiquait même – « Marché Commun ». Et naturellement, le marché devint son unique identité. Durant les trente glorieuses (Golden Sixties), la sociale démocratie en partageait les miettes (qui, toutes proportions gardées, passeraient aujourd’hui pour de grosses parts du gâteau) mais elle ne put jamais en prendre les commandes même quand elle composait la majorité des gouvernements de l’Union encore baptisée Communauté.
Ensuite, de Maastricht en Lisbonne, les traités traduisirent dans les lois d’airain le triomphe de l’ultra libéralisme dont la Commission fut le bras armé avec l’assentiment jamais démenti de tous les gouvernements du vieux continent. Plus libéraux que les hérauts du capitalisme américain, les occupants successifs du Berlaymont allèrent, à de timides exceptions près, au-delà même du « laisser-faire, laisser-aller », organisant scientifiquement la destruction des services publics, réduisant au minimum la représentation du collectif dans la société et transformant la concurrence en bible. Et comme pour fixer le cadre de l’ « européanisme réel », les 28 n’hésitaient pas à confier les rênes de son exécutif, au champion de l’évasion fiscale étatique. Jamais organisation n’a été aussi minutieuse pour promouvoir la mainmise de l’idéologie libérale sur nos vies. La gauche, quand elle ne rendit pas les armes au social libéralisme, abandonna la critique de cette Europe-là aux souverainistes de droite ou aux populistes d’extrême-droite.
Aujourd’hui, enfin un peuple a refusé la misère et le désespoir des politiques d’austérité. Mais les gouvernements du libéralisme rejettent ce verdict populaire. Avec l’arrogance du mépris, par peur de la contagion, par idéologie et aveuglement, cette Europe maintient contre vents et marées une politique qui a fait faillite. Même si l’agonie risque d’être longue, la certitude du dogme ultra libéral et austéritaire ressemble à un lent suicide dont les peuples européens sont les vraies victimes.
Voilà pourquoi aujourd’hui, comme des millions de citoyens du continent, je ne suis plus, je refuse d’être appelé « Européen », nomination travestie et usurpée. Je suis Grec et demain Espagnol (et après-demain….) dans une solidarité qui refuse tout nationalisme.