«68, mes parents et moi» est un film à part dans la cohorte des documentaires que l’on pu voir depuis quelques semaines à propos du 40e anniversaire de Mai. D’abord parce que le film de Virginie Linhart n’est pas commémoratif: il nous parle de 68 et d’aujourd’hui, de la transmission et de l’engagement, de l’individuel et du collectif et cela toujours sur un ton très personnel. Forcement personnel puisque Virginie Linhart est la fille de Robert Linhart, une des figures marquantes (et marquée, ajoute-t-elle) de Mai 68. Elle s’interroge donc et interroge des filles et fils de quelques grands leaders du Mai français sur la manière dont ils ont vécu leur enfance auprès de leurs parents révolutionnaires (souvent absents) et sur ce qui leur en resté. Virginie Linhart, réalisatrice déjà expérimentée, nous donne là un film à la fois émouvant et intelligent, sensible et subtil qui capte entre les lignes quelques traces essentielles de cette période et de son héritage (assumé ou non). La réalisatrice a travaillé parallèlement à l’écriture d’un très beau livre où l’on retrouve certains de ces témoignages mais qui est plus centré sur ses parents, alors dirigeants maoïstes, et plus particulièrement sur son père Robert Linhart qui un jour ne pouvant plus faire face aux bouleversements et aux échecs nés de cette époque se réfugia dans le silence («Le jour où mon père s’est tu», Virginie Linhart, Seuil, 2008).
La production de ce film n’a pas été chose aisée. Aucune grande chaîne française ne s’y est engagée. Seule la télévision câblée, « Planète » a coproduit le film et l’a diffusé. On se félicitait donc de ce que la RTBF ait eu la bonne idée et même l’audace de contribuer à son financement (par un préachat) et on se réjouissait donc de voir le film sur « La Une » ce 26 mai à 22.15 heures.
Et puis le moment venu…rien. Ou plutôt si, en lieu et place du film de Virginie Linhart on eut droit à un documentaire particulièrement racoleur consacré aux tueurs en série. «Quoi de mieux que trois affreux tueurs en série pour donner matière à un documentaire qui va faire frissonner dans les chaumière?» se demandait «Le Monde Tv & Radio» du 2 juin à propos de cette réalisation française d’Antoine Baldassari. A noter qu’au même moment sur « La Deux », la RTBF diffusait un épisode de la série « Scènes de crimes »…. Que s’était-il donc passé ? Tout simplement la fin du procès Fourniret et le début de celui Ait Oud à Liège, précisément ce 26 mai. Et la RTBF avait sans doute décidé en catimini de déprogrammer le film de Virginie Linhart pour donner toute son ampleur à l’actualité des tueurs en série (ou présumés tels) déjà surmédiatisés dans l’information. C’est du moins ce qu’il faut déduire de ce changement sauvage de programmation. Quant au film de Linhart, il fut diffusé le dimanche 1er juin…à 10h20 du matin dans l’anonymat absolu et sans qu’aucune promotion ne fut encore possible.
Au vu de l’évolution actuelle des choix éditoriaux du service public, cet incident ne constitue pas vraiment une surprise. Mais l’incohérence de la politique de production et de programmation saute une nouvelle fois aux yeux. Les grands discours officiels sur la promotion du documentaire s’écrasent sur la course à l’audience. Car finalement la RTBF décide, sans doute pour répondre à ce qu’elle pense être la « demande » du public, de sacrifier un film qui non seulement répond pleinement à l’identité d’une chaîne publique mais auquel elle a consacré des moyens financiers non négligeables. Et finalement ce gâchis traduit un manque de respect à l’égard des téléspectateurs, de la réalisatrice et des propres règles du service public. Reste à espérer une rediffusion plus décente, une prochaine édition DVD et à conseiller, en attendant, de lire le récit de Virginie Linhart.