La France a même un parlement et le pouvoir de l’Assemblée nationale est une réalité : c’est pour la majorité présidentielle la découverte inattendue d’un scrutin qui l’a durement sanctionnée. Entre stupéfaction et délectation, médias et professionnels du commentaire semblent vivre la même révélation. Et voilà donc convoqués constitutionnalistes et autres spécialistes de la IVe République pour mettre en garde sur les méfaits des gouvernements d’assemblée ou même de la IIIe pour chanter son « génie législatif ». Le parlement est (re) devenu le lieu par excellence du débat et de la décision politique. La France Insoumise qui, lors de la législature précédente y avait déjà fait ses preuves avec une patrouille de 17 députés trouvera avec son nouveau bataillon d’élus (mais moins nombreux qu’espéré) un champ d’expression à sa mesure. Un champ que devra quitter Jean-Luc Mélenchon qui a malencontreusement omis de se représenter. Ces dernières heures, omniprésent au Palais Bourbon, l’artisan de la Nouvelle Union Populaire, ne semblait d’ailleurs ne pas vraiment vouloir abandonner tout de suite les lieux.
En attendant d’affiner les analyses, les rapports de force — la mère de toute action politique — dictent logiquement leur loi. Pas de majorité possible dans l’immédiat, coalitions improbables et vote texte par texte très incertain. Le blocage est la vérité du moment et le souci essentiel pour la macronie, comme d’ailleurs pour les oppositions, est d’en faire endosser la responsabilité au camp adverse. L’intervention d’Emmanuel Macron de mercredi soir a confirmé son incapacité — ou son refus — de prendre la mesure du rejet dont il est l’objet et d’en tirer les conséquences. Il maintient son projet et intime à l’opposition « de clarifier dans les prochains jours la part de responsabilité que les groupes de l’Assemblée nationale sont prêts à prendre » et de « dire en toute transparence jusqu’où ils sont prêts à aller ». Une sorte d’ultimatum, où les opposants sont priés de choisir entre la coalition ou le vote par texte, le tout sans suggérer la moindre possibilité d’inclinaison de son propre projet. Dans ces conditions, en, admettant même qu’il soit souhaitable, aucun compromis ne peut être possible. Par ailleurs, le président a, en quelque sorte « adoubé » le RN et lui accordé le brevet institutionnel, en évoquant avec Marine Le Pen (comme avec les autres), l’hypothèse d’une « union nationale », jugé depuis évidemment impossible. Si on ajoute les voix qui, à droite, sont prêtes à accorder la présidence de la Commission des finances au RN, Marine Le Pen peut considérer son opération « normalisation » comme achevée. Et il est vrai que 89 députés et 3 600 000 voix pour l’extrême droite constituent le fait le plus marquant du dernier scrutin.
C’est un danger pour la démocratie et le vivre ensemble, c’est un casse-tête pour la gauche qui a vu, une fois encore, les électeurs populaires choisir le RN. L’éventualité plus que vraisemblable d’aboutir à une dissolution et à des élections anticipées rapprochées oblige la gauche à affronter cette réalité si l’on veut éviter un renforcement ultérieur de l’extrême droite.
François Ruffin, brillamment réélu dans la Somme, exception parmi le raz de marée du RN, interpelle une fois encore à ce propos. Dans Le Monde[1], le député LFI s’exprime sans ambages : « après la présidentielle, au vu des résultats, d’un Mélenchon très fort dans les quartiers, dans les métropoles, mais plus en difficulté dans les Frances périphériques, des “gilets jaunes”, j’interrogeais : on va les rechercher ceux-là, ces territoires, ou on les abandonne au RN ? La question se pose avec encore plus d’acuité aujourd’hui ». Et il ajoutait : « En tous cas, on ne doit pas devenir la gauche des métropoles contre la droite et l’extrême droite des bourgs et des champs, qu’on leur laisserait. » Ruffin a raison et sa mise en garde vaut pour l’ensemble des forces de gauche en Europe. En d’autres mots, Ruffin pose la question de la constitution d’un nouveau « bloc historique » regroupant travailleurs garantis et précaires et plus largement tous ceux que le capitalisme exclut du droit à une vie décente et tente d’opposer les uns aux autres. C’est aussi la question la plus délaissée à gauche depuis des décennies. On s’accordera pour convenir que la réponse à y apporter n’est pas simple et exige temps et détermination. Mais ne pas affronter cette question lancinante, c’est se condamner à contempler de nouveaux succès pour le RN et ses semblables.
[1] Édition du 23 juin 2022
Merci Hugues pour cet article..amitiés
à quand un nouveau 18 Brumaire?
Les paris (Paris) sont ouverts!
Très bon article, merci Hugues. Pour ce qui concerne Melenchon, je pense que c’était sa décision mûrement réfléchie de ne pas se présenter au suffrage.
Je ne sais pas comment sont désignés les sénateurs en France? Il pourrait revenir par cette voix s’il tient à être présent sur les bancs d’un hémicycle. Le sénat qu’il connaît par ailleurs pour y avoir déjà siégé.
En tout cas bravo au rassemblement de la gauche moribonde et à la performance en nombre de sièges. Par presque tenu.
Oups! Pari tenu
Bien vu ! Amitiés..
Merci Hugues.
A propos de JL Mélenchon et de sa candidature « omise » aux législatives, je ne sais pas si c’est un choix « malencontreux », comme tu le suggères. Au plan de la légitimité nationale, il a pour lui son excellent score aux présidentielles. S’il s’était présenté et avait été élu à l’Assemblée, c’aurait été pour conduire l’opposition de gauche. Ce qui, vu le fonctionnement de l’appareil médiatique, aurait attiré sur sa seule personne, à gauche, tous les projecteurs. Cela aurait pu crisper certains au sein de la Nupes, alors que le maintien de l’union est un enjeu fort. Et cela aurait privé de lumière d’autres députés de LFI, alors que la relève en interne est un autre enjeu important.
Je ne sais pas si ces arguments correspondent aux motivations de Mélenchon, mais ils permettent de nourrir le débat autour de sa non-candidature…