Il n’y pas à dire : l’opération « union des appareils/partis » réalisée par Jean Luc Mélenchon est un coup de maître politique. On ne va pas lui reprocher d’avoir saisi l’opportunité qu’il avait gâchée en 2017 de transformer une percée présidentielle en un possible succès législatif. On a même envie de rêver un peu… Et si vraiment en dépit d’une France qui n’a jamais été aussi à droite (et même à l’extrême droite), un « autre monde » était possible… ou au moins une autre majorité.
Mélenchon concrétise justement une hégémonie électorale qu’il a construite avec obstination et à contre-courant de tous les appareils politico-idéologico-médiatiques dominants. Et cette fois, l’intelligence politique a pris le dessus sur ses propres certitudes et exclusives politiques. Mélenchon, fort de son succès, fruit du vote utile des électeurs de gauche toutes tendances confondues, a saisi cette volonté irrépressible d’union. Le peuple de gauche sait que sans l’union rien ne sera possible. Il sait aussi sans doute que cela ne suffira pas. Mais pour se débarrasser de la politique socio-économique du macronisme, ce sont bien les électeurs qui ont imposé cette union. Et sur ce plan, cette fois, Mélenchon a habilement répondu à cette volonté populaire. Il a su transformer ce rejet en dynamique politique.
On aura beau se dire que celui qui s’était fait le thuriféraire des « tambouilles » d’appareils et qui vilipendait une « gauche » qui le méritait bien a finalement choisi, sans vraiment s’en expliquer, de réintroduire et les appareils et le concept de gauche dans son horizon politique, on ne peut pas ne pas s’en réjouir. Et quand on entend les commentaires indignés et les analyses angoissées des professionnels de la profession médiatique, on se dit qu’il se passe, en effet, quelque chose.
L’union n’est évidemment pas l’unité. Et les reconversions instantanées des uns et des autres (sur l’Europe, l’Ukraine et le nucléaire, pour ne citer que celles-là) en disent long à la fois sur la primauté des calculs électoraux et l’absence de réflexion collective. Une alliance/coalition (sans unité) de LFI, EELV, PC, PS était inimaginable, il y a quelques jours encore. Au-delà des objectifs de conquérir des groupes parlementaires, on espère que tous les acteurs de la « Nouvelle Union populaire, écologiste et sociale » ont conscience de la responsabilité et de l’espérance qu’ils portent. Jean Luc Mélenchon est désormais reconnu comme le maitre du jeu électoral qu’il a su mener à bien. Cela ne vaut pas pour autant hégémonie politico- idéologique sur cette « gauche » dont il niait encore l’existence jusqu’il y a peu. Les méprises et les déceptions ne manqueront pas.
On doute évidemment de la sincérité des engagements des socialistes laminés par leur social-libéralisme et d’une partie des Verts qui ont conduit l’écologie politique dans l’impasse du centrisme. Pour ceux-ci, le choix l’union ressuscitée ressemble surtout à un sauve-qui-peut. Mais Jean-Luc Mélenchon doit sans doute méditer la phrase de François Mitterrand (qui demeure son maître tacticien) à propos des « risques » qu’il prenait dans son alliance avec le PCF : « On peut mettre en doute la sincérité des communistes. Mais fonder une stratégie sur les intentions que l’on prête aux autres n’a pas de sens. L’important est de créer les conditions qui font que les autres agissent comme s’ils étaient sincères.[1] » Voilà le vrai défi pour Mélenchon. Mais dans le paysage politique actuel, que la recomposition politique se réalise à partir d’une gauche radicale est déjà une première et bonne nouvelle (et pas seulement pour la France). La suite est une autre histoire…
[1] François Mitterrand, « Ma part de vérité, de la rupture à l’unité », Fayard, 1969, p.71
La phrase de Mitterand vaut d’ailleurs dans les deux sens: la stratégie de Mélenchon, si elle réussit, l’obligera lui aussi à respecter les conditions qui permettent à la France insoumise d’être le socle et le principal garant de cette probable nouvelle union. Qui plus est, c’est ce socle unitaire, s’il peut se traduire en victoire électorale aux législatives, qui permettra aux uns et aux autres, de se défausser sur cette stratégie enfin unitaire, pour justifier quelques (gros) accommodements (Europe, nucléaire, Ukraine..). Bien joué l’artiste même si comme toi je regrette que cela émerge si tard et dans des conditions moins favorables pour la gauche que celles qui semblaient réunies en 2017.
Très bonne analyse. Si cela peut exister, cela permettra aussi de réfléchir à certains fondamentaux de LFI auxquels sont loin d’adhérer l’ensemble des peuples de gauche et d’extrême gauche.
Très bonne analyse en acquis et en points d’interrogation.
Vivement fin juin.
merci pour cet article fort « éclairant ». Je souscrit aussi aux commentaires précédents. Nos chères voisins (H/F) du sud deviendraient-ils plus « raisonnables » dans ce siècle qui commence sinistrement. L’art du possible demande de laisser au vestiaire les égos surdimentionnés.
Merci pour le rappel de la citation de Mitterrand !
Bonne analyse. Quant à la citation de Mitterand, elle aurait pu s’appliquer à Marchais car il aurait pu se méfier a priori d’un probable virage libéral du mentor de Mélenchon, dont l’objectif caché était d’affaiblir le PCF.
Ce qu’en pense Riss de Charlie hebdo:
On nous reproche souvent : « Mais pourquoi, à Charlie, êtes-vous si critiques à l’égard de La France insoumise et de son leader ? Car c’est aujourd’hui le seul parti en mesure d’obtenir des résultats électoraux qui permettent aux idées de gauche de reprendre la route du pouvoir. »
Effectivement, on peut comprendre que la prudence de Charlie à l’égard de cette organisation politique agace ses partisans, qui comptent dans leurs rangs des gens tout à fait respectables et aux convictions sincères.
Alors, on va vous dire pourquoi, à Charlie, il y a un malaise autour de ce parti politique. Oui, un malaise. D’abord, il faut être franc : nous ne sommes pas objectifs comme pourrait l’être n’importe quel citoyen, car nous en sommes incapables. On peut nous demander beaucoup de choses : d’être plus drôles, d’être moins cons, d’être plus intelligents, d’être plus radicaux, ou que sais-je encore ? Mais il y a une chose qu’on ne pourra jamais faire : oublier. C’est au-dessus de nos forces.
Lors de l’enterrement de Charb, en janvier 2015, le leader actuel de La France insoumise avait prononcé un discours que les témoins présents jugèrent à la hauteur des événements qui venaient de nous frapper. Avant d’être assassiné avec ses copains par des terroristes islamistes, Charb venait d’achever son opuscule Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes, qui dénonçait ceux qui jetaient de l’huile sur le feu, en excitant le ressentiment des musulmans après la publication des caricatures de Mahomet.
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Quatre ans après eut lieu la fameuse manifestation contre l’islamophobie, où s’affichèrent des figures de la gauche dont ce même homme politique, leader de La France insoumise. Les reporters de Charlie qui suivirent cette manifestation furent estomaqués de le voir défiler à deux pas de singuliers personnages à la barbe fournie qui brandissaient des mégaphones en criant « Allahou akbar ». Pas vraiment le genre de croyants modérés soucieux de respecter scrupuleusement la loi de 1905. Ce jour-là, Charb venait d’être enterré une seconde fois, enseveli par des considérations politiciennes et électoralistes contre lesquelles rien ne pouvait faire le poids. L’appât du gain électoraliste était visiblement trop grand. Aux naïfs que nous avions été, la réalité nous rappelait qu’en politique la mort d’un homme, ça ne vaut rien. Mais passons sur ce détail.
Depuis 2015, notre journal a été dénigré et insulté par quelques membres de ce parti, nous traitant sur les réseaux sociaux de « pouilleux » et se targuant de « vomir Charlie ». L’un d’entre eux, député de La France insoumise, ayant ostensiblement manifesté son indifférence aux bricoles qui nous étaient arrivées un certain 7 janvier. D’autres formations politiques ont dans le passé expulsé des militants pour moins que ça. Visiblement, à La France insoumise, cela n’a dérangé personne, en tout cas pas ses dirigeants. Mais passons sur ce détail.
Lorsqu’à l’Assemblée nationale fut débattu le texte de loi sur le séparatisme, le député de La France insoumise qui monta à la tribune balaya d’un revers de la main cette question en lui opposant le « séparatisme des riches ». Instrumentaliser la question sociale pour évacuer un problème pourtant grave et bien réel aurait dû indigner n’importe quel militant de gauche réellement insoumis. Eh bien, pas du tout, car pour gagner les 600 000 voix qui avaient manqué au leader de La France insoumise et qui lui auraient permis d’arriver au second tour de la présidentielle de 2017, ce parti décida d’aller les chercher dans les quartiers où la population musulmane est importante, ce qui a très bien fonctionné au vu des résultats obtenus dans certaines circonscriptions de la banlieue parisienne. Face à la perspective de réaliser de bons scores dans ces départements, que vaut la question du communautarisme et du repli identitaire ? Rien, bien évidemment. La France insoumise a adopté les mêmes méthodes que les fonds de pension américains : il faut investir là où la rentabilité est la plus forte, et laisser tomber les placements qui ne rapportent pas assez. Le communautarisme est plus rentable que la lutte pour la laïcité et contre le séparatisme, alors plaçons toutes nos billes là-dedans. Ce qui compte, c’est ce qui rapporte le maximum à nos élus-actionnaires, et surtout pas ce qui risque de faire fuir les électeurs-investisseurs. Mais passons sur ce détail.
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Après la vague d’attentats qui frappa la France entre 2015 et 2021, qui tua 264 personnes et laissa estropiées pour le reste de leur vie des centaines d’autres, La France insoumise n’a pas estimé nécessaire d’écrire une seule fois le mot « islamisme » dans son programme dont on n’a cessé de nous rabâcher qu’il était le seul crédible proposé à gauche. Un détail, probablement, pour ce parti qui a l’ambition de diriger le pays et de régler toutes les injustices subies par les Français, sauf celles causées par cette idéologie totalitaire. Il faut dire que le totalitarisme ne semble pas être la préoccupation majeure de cette formation politique qui réclame une VIe République plus démocratique, mais qui n’a jamais rien dit de vraiment hostile à l’égard de la Chine ou de la Russie, pour ne citer que ces deux grandes démocraties participatives. Mais passons sur ce détail.
Car il faut se tourner vers l’avenir et cesser de ressasser de vieilles histoires qui n’intéressent que les « boomers » décatis du siècle dernier que nous sommes et emmerdent la jeunesse moderne d’aujourd’hui. Oui, il faut se tourner vers l’avenir qui vient de se réveiller cette semaine grâce aux magnifiques accords conclus entre les différentes formations de gauche. La gauche, ou du moins ce qu’il en reste, possède enfin un programme vraiment de gauche, avec des mesures sociales ambitieuses qui aideront les plus faibles, des réformes qui rénoveront les services publics, des planifications qui lutteront efficacement contre le réchauffement climatique. Qui aurait la folie de vouloir s’opposer à cela ? Personne à Charlie Hebdo, bien évidemment. Et pour ne pas entraver la marche inexorable de la gauche vers son inéluctable victoire, on nous demande d’oublier les souvenirs pénibles et les blessures toujours à vif. Durant les négociations entre les différentes formations de gauche, l’amnésie a été marchandée contre quelques sièges à l’Assemblée. Entre la mémoire et l’espoir, certains ont fait un choix digne d’un pacte faustien. Pour notre part, nous rejetons cette ignominie. Nous ne nous soumettrons ni aux islamistes ni aux négationnistes de l’Histoire récente. Car au risque de déplaire, il nous semble que, malheureusement, la mémoire est souvent incompatible avec l’espoir. •