France : les violences occultées

Henri-Désiré Charpentier ( XIXe)

Les « professionnels de la profession » — ceux du commentaire — sont unanimes pour condamner le climat délétère de la campagne régionale et présidentielle. La gifle infligée à Macron restera peut-être dans les annales des faits-divers élyséens. On espère pour lui que les propos complotistes de Mélenchon sur les attentats préélectoraux seront, eux, vite oubliés. Mais le fait est là, en France, le niveau du débat politique ne monte pas. Tout cela, comme la stratégie adoptée par le président de la République[1], donne des ailes au Rassemblement National sans que celui-ci ait vraiment besoin de faire campagne. Avec son discours ultra sécuritaire et répressif, le ministre de l’Intérieur fait d’ailleurs le travail à sa place, ouvrant un boulevard à Marine Le Pen. Les analyses confirment que l’extrême-droite a imposé ses thèmes dans la campagne des régionales ouvertement présentées comme une étape vers la présidentielle. Et les sondages suivent, l’extrême-droite arrive en tête du premier tour dans plusieurs régions et menace d’en emporter trois. Les responsabilités de la droite et celle d’une partie de la gauche (socialiste et communiste) qui favorisent cette hégémonie sont écrasantes et historiquement inédites.

Dans le climat actuel, il y a cependant une double violence qui est occultée ou à tout le moins sous-estimée. La violence sociale, d’abord, dont la pandémie a rappelé la profondeur dans la société française, et plus largement européenne. Le néo-libéralisme appliqué depuis quatre décennies a creusé les inégalités comme jamais et sa mise entre parenthèses obligée le temps d’une crise sanitaire n’est que provisoire. Le discours de Macron ou Lemaire sur la nécessité de la réforme des pensions n’en est qu’un des signes tandis que les velléités d’un retour à l’orthodoxie budgétaire regagnent du terrain.

L’autre violence qui n’a jamais été aussi brutale est médiatique. On n’étudiera jamais assez le rôle des chaînes d’information continue dans la propagation des thèmes de l’extrême-droite. C8, la chaîne bolloréenne, est devenue l’équivalent d’un office de propagande du RN. Mais à force de débats interminables et largement univoques, BMF-TV ou LCI ne sont pas en reste pour œuvrer dans le même sens. On dénonce partout et dans toutes les langues la violence des réseaux sociaux — qui est une réalité — mais ceux qui donnent le ton, alimentent et renforcent le discours dominant sont bien aux commandes de ces chaînes. Pour se justifier, leurs responsables disent qu’ils ne font que refléter l’opinion et la demande de la majorité (silencieuse). On peut leur rappeler ce que disait déjà… en 1932, le premier président de la BBC, Lord Reith : « Celui qui se flatte de donner au public ce que souhaite ce dernier, ne fait, le plus souvent, que créer une demande pour la médiocrité afin de la satisfaire ensuite. » Et ici, très souvent, la médiocrité proposée se double d’une violence symbolique et d’une exploitation du sentiment d’insécurité dont les effets électoraux sont prévisibles.

 

[1] Voir mon Blog Notes : https://leblognotesdehugueslepaige.be/france-le-cauchemar-ideologique/

Ce contenu a été publié dans Blog. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

15 réponses à France : les violences occultées

  1. Carré Jean-Michel dit :

    Très bonne analyse, comme d’habitude. Bravo !
    J’ai toujours un grand plaisir à te lire.
    Jean-Michel Carré

  2. Hugues Le Paige dit :

    Merci Jean Michel, c’est réconfortant de ne écrire « dans le vide »…

    1. m j mondzain dit :

      Cher Hugues
      Je ne cesse de lire ces textes que tu envoies et de me nourrir de cette énergie lucide et critique qui permet de croire encore à la vitalité des intelligences donc à la possibilité d’un autre monde. Tout va si mal que je ne peux m’empêcher de penser parfois que cette descente vertigineuse vers le pire pourrait bien être le prix à payer pour une véritable convulsion insurrectionnelle. Les émeutes de la faim et de la soif feront-elles basculer les choses? Amitiés fidèles

      1. Hugues Le Paige dit :

        Chère Marie Josée, merci et l »échange d’énergie est réciproque…

  3. Catherine dit :

    Merci pour cette pertinente analyse.

  4. Colleyn, Jean Paul dit :

    Merci Hugues. Il est en effet stupéfiant de voir, à longueur d’antenne, des chroniqueurs d’extrême droite ou de droite soutenue renchérir (contre rémunération) sur tous les thèmes favoris du rassemblement national. Ce ne sera vraiment pas la peine de mesurer les temps de parole des politiciens professionnels.

  5. Serge VIDAL dit :

    Quelle bonne nouvelle de vous voir débarquer sur Médiapart!
    Les discussions entre les présidents de partis francophones belges – en l’absence du PTB – diffusées par Le Soir, avaient quelque chose de profondément réjouissant par rapport au niveau des débats français. Comme disait un médecin belge confronté à l’afflux de demandes d’euthanasie de citoyens français : « La France, pays des Lumières est sous un abat-jour ».
    Cordialement,
    Serge Vidal.

  6. HEINEN dit :

    Non Non Hugues tu n’écris pas « dans le vide  »
    Et même si je ne suis pas d’une régularité assidue j’apprécie ..
    Et ne manque pas de relayer
    JF Heinen

  7. Vander Heyden Jean Louis dit :

    Dire les choses comme elles sont, c’est préparer le remède. Il ne faut donc pas baisser les bras. Merci, Hugues
    Jean Louis

  8. Fabien Gerard dit :

    ‘Gira e rigira’, le dérèglement est loin d’être uniquement climatique, et tout ce qui est en train de se dérouler « en continu » sous nos yeux ne fait que confirmer les prolongements de la « mutation anthropologique » que nous savons, déjà constatée voici un demi-siècle du côté de l’Italie. Ne serait-ce pas plutôt sur ce plan que se situe la vraie nature du « grand remplacement » sans cesse rabâché par la masse des sempiternels Dupont-Lajoie ?
    Tout ça paraît procéder d’une logique interne assez imparable que Lord Reith fut l’un des tout premiers à comprendre, et dont la fameuse citation avait aussitôt frappé mon esprit lord d’une de tes interventions publiques à l’ULB au début des années 2000 : un diagnostic capital, qui n’est pas non plus sans évoquer le ‘Brave New World’ de son contemporain Huxley ou les travaux du plus socratique des profs émérites du MIT, soigneusement tenu à l’écart des grands médias de son pays (mais pas que). Eh oui, pas toujours évident d’avoir parfois le sentiment de prêcher dans le désert par les temps qui courent, si ce n’est que l’impression du vide ne signifie pas forcément l’absence de toute forme de vie au sein de ce paysage raréfié.

  9. pierre marlet dit :

    Bravo pour cette analyse d’un excellent observateur de la politique française et merci pour cette jolie citation que je ne connaissais pas
    Pierre Marlet

  10. Ausseil Jean Michel dit :

    Mon cher Hugues, il est vrai que c’est toujours un plaisir à te lire mais, connaissant la pertinence de tes analyses souvent prémonitoires, cela fait très peur. Désormais je ne me pose plus la question de savoir comment il a été possible que des régimes fascistes puissent arriver au pouvoir sans réaction populaire …. Parait-il qu’elle ne se répète pas ……

  11. Marcel LEURIN dit :

    Tes billets, cher Hugues, présentent pour moi l’avantage de structurer ce qui souvent ne dépassait pas le niveau d’une opinion ; ce qui n’est déjà pas mal…
    Mais il y a davantage : le bon journaliste que tu n’as cessé d’être étaye ses propos. En l’occurrence, par la citation de Lord Reith, d’une totale pertinence.
    Merci, et persévère surtout !!

  12. Philippe Massart dit :

    Analyses et observations toujours aussi interpellantes qui m’obligent à plus de réflexions et m’enrichissent
    Et puis, c’est bien écrit souvent d’excellentes citations, comme celle du patron de la BBC. Merci pour cet éclair de fraîcheur au milieu de mes corrections et lectures de mémoires trop souvent arides et pauvres.

  13. Luciano Rigolini dit :

    Carissimo Hugues, GRAZIE per questa tua analisi cristallina ! Non perdi il mordente e la complessità intellettuale che ti hanno sempre caratterizzato.

Les commentaires sont fermés.