Rien n’est encore définitivement joué et la formation du gouvernement prend un peu de retard. Mais la pièce qui se joue à Rome a des airs de miracle. En quelques heures à peine, Mario Draghi, chargé par le président Mattarella de former un « gouvernement de haut niveau qui ne soit lié à aucune formation politique » était sanctifié par la quasi-totalité des médias. Dans la foulée, à l’exception de l’extrême droite des Fratelli d’Italia qui pourraient se contenter de s’abstenir, les uns après les autres, les dirigeants de partis ont été à Canossa et ont apporté leur soutien plus ou moins sincère à l’ancien directeur de la BCE. La plus spectaculaire des conversions est, bien sûr, celle de Matteo Salvini. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, le loup souverainiste s’est transformé en agneau européiste. Il faut dire que Mario Draghi avait fait une mise au point qui ne souffrait pas discussion « : je voudrais qu’il soit clair que le périmètre de ce gouvernement sera européiste et atlantiste ». L’allié privilégié de Le Pen et Orban n’a pas moufeté. Draghi a indiqué que la fiscalité devait être progressive, Salvini a remballé sa flat-tax en affirmant que l’important était qu’il n’y ait pas d’impôt supplémentaire. « Il Capitano » rendu modeste et discret se contentait de répéter : « il est exclu que nous ne soyons pas dans ce gouvernement. » La volte-face de la Lega est évidemment tactique. Salvini, comme d’autres, pense que dans les circonstances actuelles, il vaut mieux en être que de se retrouver isolés dans une opposition difficile. Il n’est pas certain que cette unanimité de façade soit un atout pour Mario Draghi.
Les Cinque Stelle demeurent divisés — déchirés — et retardent la formation di gouvernement en organisant vaille que vaille une consultation sur leur fameuse plateforme Rousseau. Mais le père fondateur, Beppe Grillo en personne, a conduit la délégation des 5 S qui a rencontré le formateur. Et le comique a encore fait plus fort que Salvini en affirmant que Draghi était « un des nôtres », un « grillino », qu’il avait fait sien le principe du revenu universel. Pas certain que cela suffise à convaincre une partie de la base hostile au futur Président du Conseil. Pas sûr non plus que cela amuse vraiment ce dernier. Mais s’ils sont aujourd’hui en perte de vitesse et ne pèsent plus que 10 % dans les sondages, les 5 S représentent toujours le parti le plus puissant dans le parlement issu des élections de mars 2018 qui avaient vu leur victoire triomphale. Leur décision sera donc déterminante pour la formation d’une majorité.
À droite, Silvio Berlusconi se complaît dans un rôle de vieux sage, ravi de donner sa bénédiction à Draghi et d’entraîner à ses côtés son allié et concurrent Salvini. À l’extrême droite, on l’a vu, Georgia Meloni se contentera sans doute de l’abstention : les Fratelli d’Italia entendent occuper seuls les rangs de l’opposition, même si celle-ci se voudra « constructive ».
La position la plus délicate est celle du PD (et accessoirement à sa gauche du petit parti Liberi e Uguali). Son secrétaire général, Nicola Zingaretti espérait avoir constitué une alliance durable avec les 5 S pour affronter les prochaines échéances électorales et faire front à la droite et à l’extrême droite. C’est compromis. Et de plus, il était jusqu’ici inconcevable pour le PD de se retrouver au gouvernement avec la Lega. Ce « partenariat » risque de lui coûter cher électoralement et de provoquer de sérieux remous en son sein. Mais pas plus que les autres, le PD n’a les cartes en mains et ne peut refuser de s’associer à « l’homme providentiel qui doit sauver le pays ». Le seul à jouir du spectacle est naturellement Matteo Renzi qui a réussi son opération en provoquant la crise et en mettant en grosses difficultés son ancienne formation politique. Renzi a d’ailleurs abandonné toutes ses revendications pour se contenter d’assurer la place d’Italia Viva, son parti personnel, au sein de l’équipe Draghi.
On reste déjà stupéfait qu’un tel attelage puisse réellement se retrouver sur un programme cohérent même s’il ne portait que sur des questions urgentes liées à la crise sanitaire. Mais l’action du gouvernement Draghi concernera aussi l’urgence sociale et économique — l’utilisation des fonds européens — et là, il ne s’agira pas de décisions politiquement neutres. Certes, aujourd’hui, face à l’échec des partis politiques, Draghi est en mesure d’imposer sa vision, celle d’un social libéral (à coloration keynésienne) où les forces en présence peuvent toutes prétendre y trouver un point d’accord minimal. Mais quand on entrera dans « le dur » des mesures structurelles sur l’emploi, les investissements, la recherche ou l’éducation, l’unanimisme de circonstance risque logiquement de voler en éclats.
Merci Hugues pour ton analyse. On a effectivement le sentiment que chaque formation , sauf sans doute le PD, pense qu’elle va gouverner seule avec Draghi et que les autres n’existent pas . Miracolo ….
PASSIONNANTE analyse, merci Hugues!!!!
L’Italie , laboratoire ou on essaye les nouveautés politiques, dit-on! Ici, c’est un peu different, Draghi cela ressemble fort a Macron et j’imagine que l’on retrouvera vite les memes clivages qu’en France. J’ai lu récemment un commentaire qui disait qu’en 20 ans, l’Allemagne avait cru son PIB de 20 %, la France de 12 % et l’Italie avait décru de 3%. Je ne garantis pas ces chiffres mais que peut faire Draghi dans un tel contexte? Les Brutus ne manquent pas…