C’est peut-être le lieu qui est le plus symbolique. Piazza San Giovanni à Rome. Pendant des décennies, à l’ombre de Saint-Jean de Latran, la place était celle de la gauche syndicale et politique. C’est là que se clôturaient les campagnes du PCI et que se mobilisait la CGIL pour la grève générale. Là aussi que le 13 juin 1984, un million d’Italiens rendaient hommage à Enrico Berlinguer, le secrétaire général du Parti Communiste décédé quelques jours auparavant.
Désormais c’est le peuple de droite qui occupe San Giovanni. Samedi, Matteo Salvini y a rassemblé ces troupes — plusieurs dizaines de milliers de personnes — sous le signe de la « Fierté italienne » – pour dénoncer le gouvernement PD/Cinque Stelle et affirmer sa certitude de vaincre aux prochaines élections. Ce grand rassemblement prenait l’allure d’un acte fondateur, confirmant le rôle dominant d’une Lega, désormais nationale dans ses objectifs comme dans son recrutement électoral. Haranguant ses troupes, Salvini est apparu, plus que jamais, comme le champion d’une double hégémonie. Hégémonie de la peur et de l’insécurité, d’abord, qui domine le débat sociétal marqué par l’exclusion de « l’autre » (les migrants, l’Europe). Hégémonie sur les droites, ensuite. Samedi la manifestation rassemblait La Lega, les Fratelli d’Italie de Giorgia Meloni et Forza Italia du déclinant Berlusconi, mais aussi les fascistes de Casa Pound[1] désormais acceptés dans la « famille ». C’est une première significative qui confirme les contacts fréquents et sans complexe que Salvini entretient avec l’extrême droite la plus dure et la tolérance dont font preuve à son égard les autres partis de droite.
Sur scène uniquement les drapeaux et les sigles de la Lega. Salvini avec un parti qui, en dépit de la crise d’août dernier, recueille toujours 30 % des intentions de vote, loin devant ses partenaires et ses adversaires, est bien le « capo » de cette nouvelle (extrême) droite italienne. Celle que le politologue Ilvo Diamanti nomme la « DIS », la Destra di Salvini[2], constitue bien une nouvelle configuration appelée sans doute à dominer la scène politique italienne des prochaines années. Certes, le succès de Salvini est dû à de nombreux facteurs.[3] Parmi ce qui le distingue aujourd’hui de tous les autres partis confondus, il y a sa capacité de mobilisation aussi bien à travers les médias traditionnels (télévision[4]) que les réseaux sociaux, dont il est en Italie le champion toutes catégories.[5] Mais contrairement aux autres partis, La Lega n’a pas abandonné l’implantation sur le territoire. Depuis la disparition des partis de masse, c’est la seule formation qui est restée soucieuse — et capable — d’organiser électeurs et militants dans des réunions et des sections. Ce mélange de pratiques virtuelles et de politique traditionnelle est une des clefs d’explication du succès de mobilisation de la Lega. Le contexte socio-économique et les causes politiques, culturelles et idéologiques restent naturellement essentiels. Mais la gauche — et le centre gauche — qui ont perdu le contact avec les couches populaires devraient se souvenir que leur reconquête passe certes par des révisions politiques déchirantes ( encore ignorées), mais aussi par un retour à des pratiques qui supposent aussi un lien direct et concret avec celles et ceux qui sont ses électeurs naturels.
[1] Casa Pound est officiellement un parti politique d’inspiration nationaliste-révolutionnaire néofasciste italien. Son nom voulant rendre hommage au poète fasciste américain Erza Pound. Le mouvement est connu à la fois pour sa présence sur le terrain social et ses violences racistes.
[2] La Repubblica 20.10.19 « Dove arriva la Lega di Roma »
[3] Voir notamment le dernier Blog-Notes : https://www.revuepolitique.be/blog-notes/populismes-et-%e2%80%89peuplecratie%e2%80%89/
[4] Salvini était la semaine dernière opposé à Renzi dans la célèbre émission de Bruno Vespa « Porta a Porta » qui reste le meilleur moyen de s’adresser à tous les publics
[5] Salvini compte 3,8 millions de fans sur Facebook et plus d’un million sur Instagram et twitter